Société

Publié le lundi, 15 mars 2010 à 12h57

Vers d'autres horizons...

Par Marie Giudicelli

L'émigration ches les jeunes italiens diplômésPourquoi de plus en plus de jeunes italiens quittent-ils leur pays pour poursuivre leurs études ou chercher du travail à l’étranger ? Le phénomène, s’il n’est pas nouveau, a pris ces dernières années une ampleur qui ne peut laisser indifférent notamment parce qu’il concerne essentiellement une catégorie de jeunes qualifiés, parfois hautement diplômés. Les mouvements internes à l’Union européenne ont augmenté dans leur ensemble au cours des dernières années et ainsi, de plus en plus de jeunes n’hésitent pas à se lancer dans une expérience à l’étranger afin d’étoffer le curriculum mais aussi dans un but d’enrichissement personnel, pour élargir leur connaissance de « l’autre » et de cultures différentes. Il s’agit parfois de migrations plus lointaines, notamment vers les États-Unis, le Canada ou bien encore l'Argentine, même si la destination première reste l'Europe, et l'Allemagne en particulier.

Pourtant, il semble intéressant de s’interroger sur ce mouvement, à cause de son accélération donc, mais également eu égard à la situation actuelle de l’Italie sur les plans politique, économique et social, le climat général qui y règne et le niveau, particulièrement bas, qu’a atteint le débat politique et social. Même si le gouvernement en place ne cesse de répéter que l’Italie a su relativement bien se protéger de la crise, en réalité le pays en a énormément souffert et en souffre encore. Et les jeunes sont les premiers touchés. Parmi les membres de l’OCDE, c’est en Italie que le rapport entre le taux de chômage des jeunes et le taux de chômage global est le plus élevé et c’est aussi en Italie qu’il a le plus augmenté depuis le début de la crise.

Précarité, absence de perspectives, auxquels vient s’ajouter le grave problème de la « recommandation », du « piston » en somme, mais qui atteint dans la botte des proportions impressionnantes et auquel vient s'ajouter une forme de « clientélisme »… N’est-ce pas surtout cette « caractéristique » italienne qui incite de plus en plus de jeunes à partir, dégoûtés par ce système ? Combien de jeunes étudiants fraîchement diplômés ont vu leur échapper une place de doctorant ou de post-doctorant au profit d’un autre étudiant, parfois moins « brillant » mais qui avait les « connaissances » nécessaires pour obtenir cette place ? Cette tare, pourtant connue et maintes fois débattue, ne semble pas sur le point de disparaître, loin de là…

Il est également nécessaire d’évoquer le problème très « italien » (même s’il est aussi présent ailleurs en Europe mais dans de moindres proportions) du peu de reconnaissance pour l’effort fourni, pour le travail : le pourcentage de jeunes diplômés (généralement l’équivalent de nos Bac+3 ou Bac+5) au chômage est le plus élevé de l’Union européenne. Difficile de poursuivre un parcours universitaire souvent long et parsemé de sacrifices, en sachant que les chances de trouver un emploi correspondant aux compétences acquises sont faibles…
Ces quelques considérations sur la situation de ces jeunes italiens peuvent en partie expliquer les flux migratoires - définitifs ou on - vers l’étranger.

Lorsqu’on interroge les jeunes eux-mêmes, on trouve en effet parmi leurs motivations l’absence d’horizons dans le domaine professionnel et la lassitude d’un système qui, à défaut de reconnaître le mérite, privilégie celui qui sait faire jouer ses connaissances (ou celles de papa). Beaucoup évoquent également le coût exorbitant de l’université italienne (rien à voir avec les tarifs français par exemple) et le manque de fonds pour la recherche.
Alessandro a 27 ans et est né à Catanzaro, en Calabre. Élève brillant, il quitte son sud natal pour Bologne où il entreprend des études de physique. Son parcours est exemplaire, il arrive premier de sa promotion. Pourtant, un professeur lui conseille de partir. « Ici, il n’y a pas d’avenir pour toi ». Un passage par la France et puis l’arrivée aux États-Unis où il trouve enfin « la reconnaissance pour l’effort fourni, pour les sacrifices » et « une grande stimulation ». Certes, le déracinement ne se fait pas sans inquiétudes et sans difficultés, mais voir une constance dans l’effort, un acharnement dans le travail récompensés, n’est-ce pas source d’une satisfaction sans égal ? Bien-sûr, il est inutile d’évoquer le salaire d’Alessandro, sans comparaison avec celui qu’il aurait obtenu en Italie…
Justement, parmi les autres motifs évoqués revient régulièrement celui des salaires trop bas qui souvent ne permettent pas aux jeunes générations de prendre leur indépendance et de quitter le toit familial. Des salaires qui, fréquemment, à emploi similaire, sont plus élevés à l’étranger et permettre d’envisager le futur beaucoup plus sereinement. Car, dans bien des cas, c’est bien de cela qu’il s’agit : la recherche de conditions favorables pour mettre en place un projet professionnel et personnel. La grande majorité de ces jeunes ne font-ils pas preuve d’une extrême clairvoyance qui contredit l’insouciance, voire la bêtise qu’on leur prête trop souvent ? Les jeunes ne mériteraient-ils pas davantage de confiance et d’ « investissement » de la part de leurs aînés ?
L’exemple de Laura est assez éloquent : après des années d’études, elle a obtenu son diplôme de vétérinaire à la fin de l’année 2009. Elle s’est mise immédiatement à la recherche d’un emploi ou d’un stage. C’est finalement une clinique vétérinaire privée qui l’a employée pour une durée de 6 mois, non déclarés…et non rétribués. Mais elle a accepté « pour l’expérience », « pour le CV ». Les journées sont harassantes mais Laura est consciente de devoir passer par ce sacrifice pour avoir ensuite une chance de trouver un vrai emploi. Heureusement, sa mère peut la soutenir financièrement.

Si pour certains jeunes, le départ à l’étranger, pour « se faire une expérience » est souvent envisagé comme temporaire, dans beaucoup de cas, il se transforme en une véritable installation dans le pays d’accueil. Évidemment, quitter sa famille, ses amis, représente la plupart du temps une épreuve. C’est généralement difficile de recréer un cercle affectif au sein d’une culture qui, en dépit de tout, malgré l’ouverture d’esprit et la curiosité pour la différence qui animent le plus souvent ces jeunes, n’est pas celle du milieu dans laquelle ils ont grandi, où ils se sont construits.

Au fond, le départ en soi peut représenter une démarche extrêmement positive pour ces jeunes étudiants ou travailleurs mais à mon sens la véritable question concerne les motifs de ce départ : s’ils correspondent à l’envie d’aller découvrir de nouveaux horizons, à la curiosité pour d’autres cultures, alors l’accélération du phénomène représente une bonne nouvelles. Si, en revanche, ils correspondent à une manière d’échapper à un certain futur qui, pensent-ils, les attend dans leur pays, il s’agit d’un mouvement beaucoup plus inquiétant…