Politique et économie

Publié le dimanche, 4 avril 2010 à 15h20

Polémique dans le Piémont et en Vénétie: la Ligue du Nord s'oppose à la distribution de la RU 486

Par Marie Giudicelli

La Ligue du NordAvec 21 ans de retard sur la France et nombre d’autres pays, européens ou non, la pilule abortive RU 486 est enfin disponible de manière effective en Italie. Le combat a été long, semé d’obstacles dressés essentiellement par l’Église, bien évidemment. La loi 194, votée le 22 mai 1978, qui autorisa l’avortement, avec un certain nombre de restrictions (« les possibilités d’avoir recours à l’IVG durant les premiers 90 jours de la grossesse, sont limitées aux cas où la grossesse comporte un danger sérieux et objectif pour la santé physique ou psychique de la femme enceinte », l'IVG étant autorisée au-delà de 90 jours, seulement si le fœtus est affecté d’une grave pathologie ou si la vie de la femme enceinte est en danger), n’a jamais vraiment calmé le débat et régulièrement les affrontements entre les camps adverses reviennent sur le devant de la scène.

La RU 486 est disponible depuis plus de 20 ans dans 30 pays comme l’Espagne, l’Autriche, la Tunisie, les États-Unis, la Chine - et la France bien-sûr où elle a été mise au point en 1980 par Étienne-Émile Baulieu - et a été utilisée par des millions de femmes. L'Italie restait jusque à présent hors du circuit. Et c’est seulement le 29 mars dernier que sont arrivées les premières boîtes de pilules qui pourront être utilisées en toute légalité.

L'Église a tout fait pour empêcher l’arrivée de la RU 486 en Italie, différents politiques, au premier rang desquels Francesco Storace, ministre de la santé du 3ème gouvernement Berlusconi (2005-2006) (il ira jusqu’à faire suspendre les premières expérimentations de la pilule mises en place à Turin, à l’hôpital Sant'Anna) ont bataillé contre. Et puis, le 30 juillet dernier, l’AIFA (Agence Italienne du Médicament) a finalement autorisé la mise sur le marché de la RU 486 par les laboratoires français Exelgyn (qui sont donc les producteurs de la pilule).
Les premières pilules seront très probablement distribuées aux hôpitaux après Pâques. Précisons que le soin de choisir le cadre dans lequel aura lieu la prise de la pilule abortive est laissé aux régions elles-mêmes : soit la patiente sera hospitalisée (pendant au moins trois jours) soit tout se passera en "hôpital de jour" et la patiente pourra rentrer chez-elle le jour-même (mais sera suivie pendant le temps que durera l’avortement).

Cependant, le week-end dernier ont eu lieu les élections régionales qui ont vu la Ligue du Nord l’emporter dans deux régions très importantes du nord : le Piémont et la Vénétie. Roberto Cota et Luca Zaia, respectivement les nouveaux présidents de chacune de ces régions, s’opposent avec virulence à l’arrivée de la pilule dans les hôpitaux des régions dont ils ont désormais la responsabilité. Ironie du sort, c’est justement dans le Piémont, comme on vient de le voir, qu’avaient eu lieu les premières expérimentations de la pilule RU 486.
En tant que catholique, Zaia se dit opposé à cette méthode abortive qui, dit-il : «banalise le drame de l’avortement, laisse les femmes seules et déresponsabilise les jeunes ». Et obtient évidemment le soutien du Vatican. C’est certain, les femmes vont courir se faire avorter, encouragées par la nouvelle méthode qui leur est (enfin !) proposée : une dizaine de jours de douleurs intenses, sans compter la souffrance psychologique qui découle d’une telle décision : pourquoi s’en priver ?!
Roberto Cota, quant à lui, déclare que les pilules « pourront toujours pourrir dans les entrepôts » (il se rétractera quelques jours plus tard, affirmant sa volonté de respecter la loi...on aimerait le croire...).

Mis à part la totale irresponsabilité de ces dirigeants politiques et l’aplomb avec lesquels ils proclament de telles inepties, preuve, s’il en était besoin, de leur parfaite incompétence en la matière (et pas seulement !), ces prises de positions mettent en évidence une autre question : celle de l’autonomie des régions, cheval de bataille de la Ligue du Nord. Voici en effet ce que déclare Luca Zaia : « Le fédéralisme est nécessaire, même pour les thèmes éthiques. Pour l’avortement ou l’euthanasie, pourquoi l’État devait-il décider ? Les assemblées régionales devraient pouvoir légiférer ». Ce type d'affirmations n'est-il pas dangereux ? Ne dénotent-elles pas une volonté de se soustraire à la loi et aux directives de l’État ? Avec l’appui du Vatican…C'est précisément ce qu'a souligné la présidente du Pd au Sénat, Anna Finocchiaro, qui a invité Roberto Cota, mais aussi Maurizio Gasparri - le président du Pdl au Sénat qui n'a pas hésité à dénoncer l'incompétence du directeur de l'AIFA pour avoir autorisé la distribution de la RU 486 - « à respecter une loi de la République, et avec elle, toutes les femmes italiennes et étrangères qui sont souvent confrontées à un choix difficile ». Affaire à suivre...