Culture

Publié le dimanche, 25 janvier 2009 à 15h22

New italian epic, un caillou dans la Botte

Par Stefano Palombari

newitalianepic.jpgDepuis quelques temps, le milieu littéraire italien est secoué par un vive débat, qui parfois prend l'allure de polémique. Tout commence au printemps 2008 lorsque Wu Ming 1, alias Roberto Bui, publie sur Internet un court essai qui s'appelle new italian epic (nouvelle épique italienne), résultat d’un cycle de conférences qu'il a tenu dans plusieurs universités américaines.
Cette publication fait l’effet d’un pavé dans la mare. Le monde des lettres prend position.

Une position nette : d’un côté ceux qui saluent dans ce texte rien d’autre que la théorisation de quelque chose qui était sous les yeux de tout le monde et qui n’attendait plus que quelqu’un lui donne un nom. D’autres en revanche ne voient qu’un coup de pub ou d’autopromotion des Wu Ming.

Vue de France, où le milieu littéraire est immobile et le sommeil prévaut sur le débat, une situation de ce genre met l’eau à la bouche. Dans l’Hexagone, on ne discute plus littérature mais on se limite à énumérer les qualités, bien plus rarement les défauts, de tel ou tel autre livre et les pages littéraires se ressemblent de plus en plus. Donc les Italiens peuvent déjà remercier Wu Ming 1 pour ce cadeau fait à leur littérature.

Mais de quoi parle au juste ce texte ? WM 1 remarque dans une partie de la production littéraire italienne des années 90 à nos jours des traits communs. On en citera quelques-uns : Tout d’abord le dépassement de la froide ironie du roman « post moderne ». Wu Ming 1 fait de cette absence une ‘condicio sine qua non’.
Puis l’attitude « pop ». L’idée qu’un bon roman puisse être populaire et devenir un best seller, scandalise encore certains critiques littéraires pour qui la bonne littérature a ipso facto très peu de lecteurs. Les livres new epics peuvent être sans complexe populaires et bien se vendre.
Un autre élément important, les livres qui font partie du New italian epic sont souvent des romans historiques qui présentent des uchronies potentielles, c’est à dire la possibilité de changer le contexte historique de la narration.
Cela concerne uniquement les livres, WM 1 est très clair là-dessus. Un auteur peut écrire un livre qui rentre dans le sillon de la nouvelle épique italienne et puis en publier un autre qui n’y rentre pas. C’est une définition qui concerne les ouvrages et pas leurs auteurs.
Pour les autres caractéristiques de ces livres, on renvoie le lecteur à la traduction française du texte de WM1.

Quoi qu’en disent les détracteurs, il est indéniable que quelque chose d’important est en train de se passer dans la littérature italienne. Il n’y a jamais eu autant de livres italiens publiés en France que ces derniers temps et la deuxième édition de la Fête du livre et des cultures italiennes qui aura lieu à Paris dans deux semaines (6, 7, 8 février) s’annonce déjà comme un succès. A propos de cette manifestation aux Blancs Manteaux, un débat sur la nouvelle épique italienne aura lieu le samedi 7 février 2008 à 18 heures.

Ces écrivains ont su aussi exploiter les nouveaux moyens de communication. On peut même assister à des débats en ligne entre auteurs. Sur le site Nazione indiana une bonne partie de ces « jeunes » écrivains italiens discutent entre eux de littérature. Toujours sur ce site, à propos de la nouvelle littérature italienne, je vous signale un texte de Gianni Biondillo où l’écrivain répond aux critiques de Paolo Di Stefano (critique littéraire au Corriere della sera). Parmi les très nombreux commentaires à ce texte, vous remarquerez l’intervention de plusieurs écrivains dont Wu Ming 1. Essayez d’imaginer une situation semblable en France : les écrivains à succès qui discutent de littérature entre eux sur le net, qui commentent les articles des autres comme des internautes anonymes ? C’est impensable.

C’est justement cela qui caractérise la vivacité de la littérature italienne d’aujourd’hui. Les auteurs n’ont pas crainte de perdre leur aura d’écrivains et de se mêler à la foule car ils sont conscients qu’ils l’ont déjà perdue, que les maîtres à penser n’existent plus (ce qu’en France beaucoup ont encore du mal à accepter). Parmi ceux qui ont officiellement soutenu la new italian epic on trouve Valerio Evangelisti, Giancarlo De Cataldo, Carlo Lucarelli, Massimo Carlotto, Giuseppe Genna et Antonio Scurati. Marcello Fois au cours d’une interview à notre site a déclaré :« Wu Ming et De Cataldo ont été les victimes d’attaques assez dures de la part de l’establishment. Et ce n’est pas un hasard. Pour la première fois la critique est en grave retard sur sa matière, la production littéraire. »
En effet, ceux qui haussent le plus la voix contre la nouvelle épique italienne sont les critiques.