Publié le mardi, 29 janvier 2008 à 19h16
Glisser sur un ministre
Le gouvernement italien a glissé sur une peau de banane. Mais, comment dire, cette peau était là depuis le début, était bien visible, la majorité avait été plusieurs fois mise en garde de sa présence. Cependant, on a préféré l'ignorer, feindre qu'en réalité ce n'était qu'une fleur, que c'était beau à voir, qu'il n'y avait aucun risque de dérapage, qu'il s'agissait plutôt d'un atout, que les autres pays devaient même nous l'envier… Cette peau de banane a un nom (et un prénom aussi) : Clemente Mastella. Aux français, ce nom ne dit pas grand chose mais les Italiens ont appris à le voir comme une sorte de constante dans le paysage politique italien. Tout change et lui, il est toujours là, égale à lui-même.
Il débute en tant que journaliste où il montre tout de suite ses qualités : savoir bien s'entourer. Sa carrière est foudroyante, bien que l'on ne puisse pas citer un seul de ses reportages ni un article mémorable. Il rentre à la RAI, la télévision publique, pistonné par le très puissant Ciriaco De Mita et il devient député dans la DC, Démocratie chrétienne. Une fois ce parti disparu, laminé par les scandales révélés par les enquêtes des magistrats de l'opération Mains propres, il se consacre à son sport préféré, la balançoire.
Il participe au premier et éphémère gouvernement Berlusconi en tant que ministre du travail. Ensuite il fonde son parti politique, qui change souvent de nom, avec l’ambition d’être le troisième homme, mais il n’en a pas la stature. En 2003 il est à nouveau aux côtés de Berlusconi et trois ans plus tard il rentre dans le gouvernement Prodi en tant que ministre de la justice. Comment peut-on faire confiance à un personnage pareil ? Si l’on creuse un peu, on remarque une gestion du pouvoir assez discutable. Sa conception de la « res publica » coïncide avec celle de la « res privata ». Les cas d’abus de pouvoir se multiplient. Le siège de son parti l’Udeur, un très beau palais dans le quartier Argentina à Rome, abrite aussi des appartements de la famille. Le système Mastella était conçu pour pouvoir donner des charges publiques aux amis et parents. L’engagement politique de Mastella était donc très concret, son soutien était très facile à obtenir, il suffisait de lui promettre quelque chose. Mais c’est très facile aussi de le perdre, il suffit que quelqu’un d’autre lui promette plus ou mieux.
Malheureusement, cet ectoplasme politique est devenu incontournable avec les élections de 2006. Au sénat, la majorité n’existerait pas sans Mastella. Et donc le centre-gauche a dû se résigner à lui faire un très beau cadeau. Lorsque Prodi l’a nommé ministre de la justice, certains ont cru à une (mauvaise) blague, d’autre à une provocation. Ce n’était que la concrétisation d’un oxymore. Le paradoxe d’un ministre de la justice qui ne se soucie guère de la justice n’a duré que le temps d’une, et même plusieurs, enquête. Sa femme a été soumise à un mandat d’assignation à résidence pour une grosse affaire de pots-de-vin. Mastella, mis en cause pour «concussion, abus de fonction, complicité d’association de malfaiteurs». Le père de sa belle-fille, un important entrepreneur du coin, Carlo Camilleri, a échappé au cachot grâce à une hospitalisation venue à point…
Mis à part ses démêlés avec la justice, le personnage est pittoresque. Il se rendait aux réunions du gouvernement avec une corne très voyante, pour chasser le mauvais sort. Parfois il arrivait même avec des mozzarellas de bufflonnes qu’il offrait à tout le monde. Ses apparitions à la télé étaient toujours accompagnées par quelques extravagances, il a dansé, il s’est jeté lui-même une tarte sur le visage, il a déballé toute sa vie privée sur des plateaux, ses régimes, les cheveux teintés, son arrivée puceau au mariage… C’est sûr qu’il pourra bien pratiquer son côté théâtral, et pas que celui-ci, avec son nouveau mentor.