Dans les petits plats des grands

Publié le mardi, 1 juin 2010 à 14h22

Retour vers le futur…isme culinaire de Marinetti

Par Valérie Quezada De Talavera

Filippo Martinetti

La cuisine moléculaire est une cuisine d’avenir depuis… 1930 ! et les héritiers Slow Food peuvent tranquillement explorer les pittoresques chemins de la tradition culinaire. Voilà 80 ans, Filippo Tommaso Marinetti ouvrait la voie rapide de la révolution gastronomique avec le Manifeste de la cuisine futuriste.

Ce texte trouve son origine dans le premier des Manifestes du futurisme  publié dans le Figaro en février 1909, qui pose les fondamentaux d’un mouvement dont les maîtres mots sont l’amour du danger, l’audace, la rapidité et l’agressivité. Aïe ! le texte est mal reçu en France, mais le futurisme en marche ramène Marinetti vers l'Italie pour « lutter contre le sommeil du passé » auprès d’un public plus réceptif. Un groupe de poètes et d’artistes enthousiasmé par la nouvelle ère industrielle, décident avec lui qu’il est grand temps de passer à la centrifugeuse les musées et autres institutions poussiéreuses pour en extraire d’urgence toutes les disciplines artistiques.

Leurs œuvres rendent hommage à la vitesse et au mouvement, symboles de l’avancée du siècle vers la modernité.

Bousculer les conventions dans tous les domaines devient une urgence. Et des bousculades, il y en a : « Nous voulons chanter l'amour du danger, écrit Marinetti, exalter le mouvement agressif ; l'insomnie fiévreuse, le pas de gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing... » des préceptes qui sont enfin entendus et mis en pratique de manière musclée lors de quelques conférences mémorables relatées par toute la presse.

Durant 30 ans, cette énergie ne faiblira guère avec pas moins d’une cinquantaine de manifestes en architecture, littérature, peinture, danse, musique suivis par d’autres qui iront jusqu’à théoriser sur la vie quotidienne et feront justement l’objet de la dernière partie de ce mille-feuilles révolutionnaire : le 28 décembre 1930, le Manifeste de la cuisine futuriste dans la Gazzetta del Popolo voyait le jour.

« Les macaroni, pouah ! » Marinetti fait table rase des traditions du passé il accuse cette « absurde religion gastronomique italienne » de rendre « pessimiste, inactif, nostalgique… » et de laisser « une boule que les italiens portent dans leur estomac comme des forçats ou des archéologues. »

La cuisine futuriste

Mieux : il formule les nouvelles règles d’une cuisine multisensorielle assistée par une batterie d’« arts mécaniques » pour réussir des « AeroRepas » parfait. Rien de tel que l’ « ozoniseur » pour parfumer, la « lampe à rayons ultraviolets » pour rendre les substances plus actives, l’ « électrolyseur » pour décomposer sucs et extraits afin d’obtenir un produit nouveau, des « moulins colloïdaux » pour pulvériser les farines à un très haut degré de dispersion, sans oublier les contenants soumis à distillation, à « pression ordinaire et dans le vide » ou « centrifuges » et autres « dialyseurs ». Détail qui ferait école « L'usage de ces appareils devra être scientifique recommande Marinetti, des appareils indicateurs enregistreront l'acidité ou l'alcalinité des sauces, et serviront à corriger les erreurs. » Nous y sommes, on n’arrêtera plus le progrès !

Ainsi outillé, il ne reste plus qu’à embarquer pour le premier « aerobanchetto » du 8 mars 1931 à la Taverna del Santopalato de Turin. Aux commandes de ce rallye des sens, Luigi Colombo (dit « Fillia ») et Marinetti assistés de chefs, invitent la clientèle incrédule à une table en forme d’avion, dressée d’un service, serviettes comprises, de métal et d’aluminium, … mais sans couverts ! Pour savourer l’ambiance « aéroesthétique » dans ce lieu décoré « artmécanique », il est indispensable d’accompagner les dégustations de sensations olfactives, tactiles et sonores simultanées : des serveurs vaporisent un parfum sur la nuque des convives tandis que ces derniers accompagnent chaque bouchée d’une caresse sur papier de verre ou du velours en écoutant du Wagner ou du Bach…

Certains plats évoquent l’univers industriel: Fuselage de veau, PolloFiat -un poulet farci placé sur des coussins de crème fouetté. D’autres se veulent plus sensuels comme le « Porcexité », un salami cru dressé au milieu d’une mare de café et d’eau de Cologne, ou encore « l’Ultraviril », une queue de homard en coquille recouverte de zabaglione et entouré de langues de veau tranchées.

Nous terminerons cette évocation sur un « pastiche » ou pasticceria, en disant que le repas prit fin vers les 4heures du matin, à l’aube d’une nouvelle cuisine ouvrant la voie à toutes les façons créatives de se nourrir.
Depuis, en chemin on croise des psycho-restaurateurs, des art-thérapeutes et des créateurs culinaires de tout bords, qui nous parlent de Fooding, de Raw feeling (manger cru), de SloowFood, vous savez ? … ce mouvement d’origine Italienne.

Au fait… Dottore Marinetti, vous n’auriez pas dépassé un gastéropode ?