Publié le jeudi, 1 octobre 2009 à 08h16
Marcinkus: « Les Mystères de Son Éminence » (Enzo Biagi, 2006)
"Pouvons nous vivre dans ce monde sans nous préoccuper d'argent? Non, on ne peut diriger l'Église avec des Ave Maria" (Paul Casimir Marcinkus)
Depuis le 23 septembre 2009, l'IOR a un nouveau président en la personne d'Ettore Gotti Tedeschi.
Roberto Calvi (1920-1982) : Peu de jours avant son suicide (qui fut selon toute vraisemblance un meurtre), le "banquier de Dieu" écrivait à Jean-Paul II : « Votre Sainteté, c'est moi qui ai endossé le pesant fardeau des erreurs mais aussi des fautes commises par les actuels représentants du IOR, et aussi de leurs prédécesseurs ...; C'est moi qui sur ordre précis de Vos estimés représentants ai mis à disposition d' énormes sommes d'argent en faveur de beaucoup de pays et d'associations politico-religieuses à l'Ouest comme à l'Est...; C'est moi qui ai coordonné dans tout le centre de l'Amérique du Sud la création de nombreuses agences bancaires, et cela surtout dans le but de contrecarrer la pénétration et l'expansion d'idéologies marxistes...; Et c'est moi qui finalement, aujourd'hui me vois trahi et abandonné. ».
Les Mystères de son Éminence (Enzo Biagi, 2006)
«Voici moins d'un mois nous quittait Paul Casimir Marcinkus. Il fut l'homme de la finance vaticane, le chef du IOR (Institut pour les Œuvres de Religion), l'ami du « banquier de Dieu » Roberto Calvi et de Michele Sindona.
C'est par le biais de l'archevêque américain Marcinkus que même le Saint-Siège eut « son » scandale: la réputation de la banque vaticane fut gravement compromise par le krach du Banco Ambrosiano et la mort mystérieuse de son président, Roberto Calvi, trouvé pendu sous un pont de Londres le 18 juin 1982.
En 1998 fut réouverte l'enquête sur la fin mystérieuse du banquier, et l'examen du corps exhumé convaincu les substitut-procureurs de la République à Rome, Luca Tescaroli et Maria Monteleone, que l'homme avait été assassiné. Alors on reparla de Marcinkus et de son rôle dans cette affaire.
Je n'ai jamais rencontré le prélat américain, mais Roberto Calvi oui, deux fois.
La première lors d'un dîner, invité par un ami. Calvi était alors encore puissant mais ne me fit aucune impression particulière. C'était un dimanche, Il nous parla de sa maison de campagne à Drezzo sur la frontière italo-suisse, d'œufs frais et d'animaux. Un homme peu cordial, avec un regard glacé qui lui valait le surnom de « Cobra ».
La deuxième fut après sa bruyante arrestation en mai 1981, un épisode durement critiqué par Flaminio Piccoli et Bettino Craxi -premiers secrétaires de la DC (Democrazia Cristiana) et du PSI (Partito Socialista Italiano)- au Parlement même.
Il y eut un procès, une tentative de suicide, et une condamnation à 4 ans pour fraude monétaire ayant eu pour conséquence le krach du banco Ambrosiano.
Malgré sa froideur, Calvi me donna l'impression d'être d'un homme très seul. Et pourtant, peu avant Marcinkus avait dit de lui lors d'une interview: « Nous avons confiance en ce banquier ».
J'eus l'impression d'avoir en face de moi un homme complètement déphasé, qui après 40 ans de labeur et d'émotions ne pouvait imaginer une vie sans obligations professionnelles, sans rien à accomplir. Pas même parler de ses enfants sembla pouvoir le ramener parmi nous, lorsque que je lui demandai ce que ces derniers lui apportaient. Il me répondit froidement: « Rien, parce que je les vois peu ». À certaines questions il ne voulut pas répondre, ni même les effleurer: rien sur Gelli, rien sur la loge P2. Il s'énerva lorsque je fis allusion au voyage, via les États-Unis ou l'Allemagne, d'une somme qui aurait été versée pour financer un parti politique italien. « Je ne réponds pas aux questions de ce genre » dit-il. Il ne me sembla pas doté d'un fort caractère, cet homme, avec ses moustaches et ses cheveux teints, son visage pâle, la perception d'une certaine angoisse dans ses mots. Le miroir de la défaite.
Il avait réussi à enchevêtrer ses « chiffres » avec des prêtres et des maçons, des députés et des sénateurs, les services secrets. Il avait versé de l'argent à des journaux, au « Gazzettino » de la DC et au « Paese Sera » du PCI (Parti Communiste Italien). Avec Marcinkus, Calvi était parti à la recherche de brebis égarées, à tondre ensemble. Il fut l'associé de Sindona et Pesenti. Mais à présent les tours du vieux « jongleur » Calvi manquaient d'assurance.
Alors je me demandai: « Mais comment en est-on arrivé à ce désastre? Pourquoi ceux qui le devaient n'ont pas parlé? Pourquoi ceux qui avaient l'obligation d'intervenir ne l'ont-ils pas fait? ».
Quelques jours avant de mourir, Roberto Calvi écrivit une lettre au Pape Jean-Paul II dans l'espoir de recevoir de l'aide. Pour sauver ce qui restait du Banco Ambrosiano et ôter le IOR des mains de Marcinkus, qui lui cependant tint son poste jusqu'en 1989.
Le contenu de cette lettre fut révélé bien des années après par le fils du « banquier de Dieu ». Elle est datée du 5 juin 1982: « Santità, c'est moi qui me suis auto-attribué le pesant fardeau des erreurs mais aussi des fautes commises par les actuels et précédents représentants du IOR. Et c'est aussi moi qui, sur ordre précis de Vos estimés représentants, ai fait disposer de considérables sommes d'argent en faveur de beaucoup de pays et associations politico-religieuses, à l'est comme à l'ouest » (2).
Quelques mois après la mort du banquier je rencontrai sa veuve, Clara Calvi, et lui demandai quand avaient commencé les problèmes pour son mari. Elle me répondit ainsi: « Mon mari était innocent. Ceux qui devaient payer pour cela et auraient du se présenter comme inculpés étaient les gens du IOR, et un groupe privé italien dont je tairai le nom. À la veille du procès, je m'étais précipitée chez Marcinkus pour le supplier de faire quelque chose, d'assumer ses propres responsabilités. Je n'étais pas étonné que l'autre groupe privé se défende alors comme il pouvait, mais je ne me serais jamais attendue à ce que l'Église n'assume pas sa responsabilité dans cette affaire. Mon mari était en prison, et il était fatigué de payer pour d'autres ».
Aujourd'hui, avec la mort de Marcinkus s'en va l'ultime possibilité de connaître un jour la vérité sur l'un de ces nombreux « Mystères de l'Italie ». D'une affaire mêlant loges maçonniques, mafia, services secrets, Vatican, recyclage d'argent sale, trafic d'armes sur la guerre des Malouines, financement de la dictature de Somoza et du syndicat polonais catholique Solidarnosc: une intrigue internationale qui couta à l'Eglise 1500 milliards de lires. Et entachât gravement sa réputation.»
Enzo Biagi
« IO C'ERO » (« I misteri di sua Eminenza, p.499-501 »)
(c) 2008, Rizzoli/RCS Libri SpA, Milano.
Traduit de l'italien par Vito Vespucci
(1) Carl A. Anderson et ses Chevaliers de Colomb semblent être de "sérieux clients". Lire par exemple son discours dans le cadre de la "marche pour la vie" (2005) où il s'étonne de ne pas voir d'enfants dans les rues de l'Etat "killer" hollandais...
(2) Il est étonnant de constater que le passage de cette lettre n'est cité que partiellement par (le toujours courageux) Biagi dans cet article, où manque : "C'est moi qui ai coordonné dans tout le centre de l'Amérique du Sud la création de nombreuses agences bancaires, et cela surtout dans le but de contrecarrer la pénétration et l'expansion d'idéologies marxistes...; Et c'est moi qui finalement, aujourd'hui me voit trahi et abandonné" (comme vous pouvez le lire dans l'introduction à cette traduction.)