Dans les petits plats des grands

Publié le jeudi, 24 février 2011 à 23h02

Le Comte de Cavour et sa grande cuisine diplomatique

Par Valérie Quezada De Talavera

Camillo Benso Conte di Cavour« Les oranges sont à notre table et nous les mangerons ; pour les macaronis, il faut attendre car ils ne sont pas encore tout à fait cuits ! » Voici les propos quelque peu « codifiés » dans un télégramme du comte Camillo Benso di Cavour à son ambassadeur, quand il prend place à la table de l’unification italienne en 1860, au moment où Garibaldi lui sert la Sicile des oranges avant de prendre Naples aux Maccheroni.

Quel est, de ces deux protagonistes, celui qu’un Français peut citer spontanément au sujet de l’histoire de l’Italie ? Certainement pas Cavour qui est pourtant l’artisan majeur de l’unification italienne. On lui doit un macaroni passé à la postérité comme symbole national, au point d’être synonyme -pas toujours flatteur- d’ « Italien » dans le monde entier. Originaire du Piémont, il entreprend une carrière militaire qu’il abandonne rapidement pour cause de myopie et de… clairvoyance ! En effet, la voie des armes paraît bien peu adaptée aux idées libérales du jeune homme. Issue d’une vieille famille de la noblesse, le père décrit ainsi le singularisme de son fils dans une lettre à sa femme, le qualifiant au passage de « terrien cérébral » : « Notre fils est un bien curieux personnage. Ainsi a-t-il honoré le repas de la manière suivante : grosse assiette de soupe, deux belles côtelettes, un plat de bouillie, riz, patates, haricots, raisin et café … Après quoi il a récité Dante, Pétrarque… tout en marchant à grand pas, les mains enfoncées dans son peignoir »

Quand l’érudit décide de s’asseoir, c’est à une table d’invités, ou de jeux, et toujours en compagnie de belles femmes qu’il apprécie particulièrement intelligentes. Une table sous le signe de l’excellence, composée d’ingrédients du terroir capables d’imposer une cuisine italienne digne de ce nom. Toutefois, Cavour sait qu’ « il ne suffit pas de faire de bons produits, encore faut-il les faire connaître ! ». Chargé du domaine familial, c’est entre 1832 et 1843 qu’il s’intéresse de très près aux techniques agricoles. Il importe des machines anglaises pour leurs performances, utilise des pesticides et crée l’association agraire italienne. Pour ce qui est de se faire connaître, l’homme a des dons. Il sait surtout comment se faire entendre et communiquer ; grâce à son journal, Il Risorgimento, il soutient une campagne pour l'établissement d'une monarchie constitutionnelle. Député en 1848, ministre de l’agriculture en 1850 puis des Finances, rien ne fait taire cet homme qui devient l’ambassadeur stratégique de l’unification italienne.

Apporter une bouteille ou… une cousine

Cavour travaille à un rapprochement économique et culturel entre la France et l’Italie. L’ambassadeur aime à dire (en latin) que « la table, plus que l’esprit, attire les amis ». Il est convaincu des vertus d’un bon repas et ne manque pas de glisser quelques bouteilles d’excellents Barolo dans les valises diplomatiques.

La table, le vin… les femmes. Ou plutôt une, la comtesse de Castiglione. Sa très belle cousine romanesque de 18 ans s’ennuie à Turin, elle partage ses idées et Cavour imagine immédiatement comment cette partisane peut servir sa cause. Le comte aura plusieurs rendez-vous privés avec l’empereur, mieux qu’une bouteille il apporte en 1855 sa magnifique cousine pour être présentée à Napoléon III et le convaincre d’œuvrer à l’unité italienne. Plus puissant encore que le fameux Barolo, la Castiglione tourne la tête de l’empereur qui se laisse charmer par une patriote aussi convaincante dans ses propos que ses manières. Son cousin ne manquera pas d’ailleurs de compter sur l’appui de cette pièce « maîtresse » qui finira sa vie à Paris.

Plus officiellement, il fait entreprendre en 1857 des travaux qui vont permettre de consolider les sites stratégiques du nord de l’Italie dont un tunnel au Mont-Cenis, reliant Turin à Lyon… et se charge personnellement du long travail qui reliera directement les intérêts français à ceux de la future nation italienne. Ce maître d’œuvre se trouvera être également le négociateur du rattachement de Nice et de la Savoie à la France trois ans plus tard.

Recette de la célébrité posthume

Une fois le roi Victor-Emmanuel II assis sur le trône italien, Cavour n’aura guère l’occasion de savourer son statut de grand homme. Trois mois plus tard, il décède, probablement du paludisme.

L’histoire italienne l’inscrira au panthéon des grands hommes, la cuisine au menu les plus sphistiqués, pour preuve : du potage « à la Cavour » (une crème de riz) jusqu’au pudding « à la Cavour », artichauts en croûte Cavour en passant par la tête de veau « à la Cavour », autant de plats qui laisse penser que l’homme fut un gourmet des plus actif. Des recettes chic et mondaines qui en fait ne reflètent pas plus la veine patriotique que les goûts gastronomiques du principal intéressé: un bon nombre ont été élaborées après sa mort. In memoriam, en quelque sorte.