Interviews

Publié le mardi, 27 mars 2007 à 16h38

Entretien avec Giuseppe Culicchia

Par Stefano Palombari

J'ai interviewé Giuseppe Culicchia au sujet de son roman Le Pays des Merveilles, qui a gagné le prix Grinzane France 2008.

Dans votre dernier roman, Le Pays des merveilles, Attilio, le personnage principal est timide et sensible tandis que Francesco, son camarade de classe, est violent et effronté, tout semble donc les séparer et pourtant ils sont inséparables. Quel est le trait d'union entre les deux lycéens ?
Je crois que ce qui unit les deux adolescents c'est l'innocence du regard sur le monde qui les entoure, la rébellion aux hypocrisies des adultes et l'envie de vivre. Attilio et Francesco ont hâte de grandir et de laisser derrière eux une réalité qu'ils sentent oppressante. Ils ont l'illusion, comme cela arrive souvent à leur âge que la vie se trouve ailleurs.

Les années 70, les Brigades rouges, le terrorisme noir, celui d'Etat… est-ce que vous pensez que les nombreux mystères, les zones d'ombre, les massacres sans coupable, pèsent sur l'Italie d'aujourd'hui ? En d'autres termes, est-ce que nous traînons derrière nous une histoire inachevée ?
Il est naturel que tout ça pèse, malgré l'oubli. Et ça pèse encore plus parce qu'on a essayé par tous les moyens d'oublier ces choses-là sans les résoudre, sans régler les comptes avec notre passé plus ou moins récent. Notre histoire est pleine de lacunes, de trous noirs, d'omissions et c'est peut-être aussi pour ça que ceux qui avaient vingt ans à cette époque, une fois devenus parents, ont eu du mal à raconter leur jeunesse aux enfants. Comment peut-on expliquer à un jeune d'aujourd'hui une expression désormais récurrente comme justement le " massacre d'Etat. " ?

Si nous pensons aux grands idéaux de cette génération-là, incarnés par les velléités de deux amis, par leur rejet de la logique implacable de la normalisation et de l' " éthique du travail " et puis nous regardons le monde d'aujourd'hui, nous nous rendons compte qu'il ne reste pas grand-chose de tout ça.
Je suis d'accord. Si les gens qui sont morts dans ces années-là, d'un côté comme de l'autre, pouvaient par magie voir le monde d'aujourd'hui, je me demande ce qu'ils diraient. Il y a quelques jours, dans un lycée, une jeune fille m'a dit : " lorsque j'étais petite je lisais beaucoup de livres, puis mes parents m'ont offert mon premier téléphone portable et j'ai arrêté " . Voilà : au delà du fait que dans les années 70, les portables n'existaient pas, je crois qu'ils seraient vraiment surpris. Dans un des derniers livres de Cormac McCarthy, depuis peu devenu un film, " No country for the old man ", le personnage principal souligne que dans les années 70 le problème principal dans les écoles américaines, du point de vue de la discipline, était que les jeunes collaient les chewing-gum sous les bancs tandis qu'aujourd'hui à l'entrée des lycées il y a des détecteurs de métaux. Tout a changé, dans les quarante dernières années et je crois que c'est lié surtout au fait que l'unique valeur qui est restée dans notre soi-disante civilisation est l'argent.

Dans votre roman, la famille a un rôle fondamental. La sœur d'Attilio s'installe à Milan surtout pour échapper à l'ambiance familiale invivable. Paradoxalement, cette situation lui a permis de s'affranchir. Quelle est votre opinion sur cette institution que beaucoup de gens considèrent désormais dépassée mais qui reste en Italie un pilier, il suffit d'en voir l'exploitation politique qu'on en fait ?
Comme on le sait bien, c'est au sein de la famille que se passent les choses les plus sordides, notamment des délits sexuels. Mais je dois dire que pour moi la famille reste fondamentale, dans le bien comme dans le mal. Je ne crois pas que l'on puisse en faire abstraction et je pense que c'est le devoir de la famille de former les enfants, leur donner une éducation, leur enseigner des règles de conduite et de vie en société. Ensuite, bien évidemment, les enfants ont le droit de se rebeller et de s'affranchir, pour après peut-être se raviser une fois devenus parents. Quant à l'exploitation politique de la famille, notamment dans l'Italie d'aujourd'hui, elle se commente toute seule.

Toujours concernant la famille, j'ai remarqué que dans la récente littérature italienne souvent les grands-parents ont un rôle positif. Votre roman ne fait pas exception. Vous pensez que le fait d'avoir " donné sa propre contribution à l'histoire ", en tant que résistant, permet au grand-père d'Attilio d'être plus clairvoyant ou bien c'est une prérogative de l'âge ?
Le grand-père d'Attila (surnom d'Attilio dans le roman) n'est pas un chevalier sans tâche, bien au contraire il traîne derrière lui un poids lié à son engagement dans la Résistance, dont il parlera un moment donné à son petit-fils. Je crois que dans mon roman le grand-père a surtout la liberté de parler avec franchise avec Attilio et Alice (la sœur d'Attilio). Le contraire de ce qui se passe avec les autres adultes, il n'y pas d'hypocrisie dans ses mots. Et il y a aussi de son côté la tentative de laisser quelque chose à ses petits-enfants : pas d'argent mais une page de Leopardi.

Quelle est l'importance que vous attachez à l'histoire et à la mémoire ? Elles sont toujours une aide précieuse ou peuvent-elles se transformer en une entrave pour le présent ?
L'histoire et la mémoire sont fondamentales pour notre présent et pour notre avenir. Nous ne sommes rien sans elles.