Interviews

Publié le mercredi, 13 mars 2013 à 20h49

Entretien avec Francesco Pacifico

Par Luisa Palazzo

pacifico.jpgA l'occasion de la sortie de son roman, Histoire de mon innocence, Francesco Pacifico, artiste résident à l'Hotel Galliffet dans le cadre du programme Les Promesses de l'art, nous a accordé cette interview :

L’histoire de ton roman est comme divisée en deux parties, la première se passe à Rome et la deuxième à Paris. Cette bipartition n’est pas seulement géographique mais aussi psychologique, et on la retrouve au niveau du personnage principal, Piero, qui dans la deuxième moitié du roman se perd. On dirait qu’il y a une partie lucide, à Rome, et une partie un peu plus floue, à Paris… mais pourquoi Paris ? Quelle a été ton inspiration pour cette ville ?

Moi aussi, comme mon personnage, j’ai vécu à Paris pendant des périodes de crise et je me suis rendu compte que la distance de Rome, et le fait d’être à Paris, qui est une ville avec une forte personnalité, avaient contribué à ma réflexion. Je me souviens d’une chose qui semble sans importance mais qui en fait est très significative : j’étais à Paris, et pour la première fois, je marchais avec beaucoup d’assurance et de confiance en moi. Ce que j’aime de Paris c’est la vanité qu’elle transmet aux gens, parce qu’avoir confiance en soi lorsqu’on appartient à un milieu un peu trop étriqué nous permet de dire, « mais, non, moi je suis meilleur » et cela nous permet de nous libérer plus facilement. Donc je voulais décrire une sorte de libération pour mon personnage, mais en même temps je ne voulais pas que ce soit une vraie libération. En effet, Piero Rosini est un personnage trop complexe pour pouvoir sortir facilement de sa situation. C’est pour cela que le but du roman n’était pas tant de le libérer mais de le mettre en scène. Et j’ai pensé qu’une personne comme lui dans un contexte fermé comme celui de Rome pouvait mieux maitriser ses angoisses, alors que dans une ville comme Paris, comme tu dis, tout serait devenu plus flou. L’une des sources d’inspiration de ce livre est Mme Bovary et l’idée de faire une distinction entre un désir noble et une obsession futile. Dans le cas de mon personnage, je voulais mettre l’accent sur la crise de Piero : comment savoir s'il s’agit d’une libération au nom d’un idéal ou d’une bêtise ? Paris, avec toutes ses tentations, était donc pour moi le décor parfait pour mettre en question mon personnage, même s’il a une forme de contrôle très forte sur la réalité, et même si cette forme de contrôle est encore plus forte en France. Et puis, Paris avait aussi fait partie de ma vie, ce qui est très important pour moi quand j’écris, parce que j’aime décrire des choses que je connais bien. Je n’aurais jamais choisi une ville que je ne connais pas.

Je voulais parler de la question de la paternité : le roman commence avec un dialogue entre Piero et son père, mais il me semble que la paternité est totalement absente de l’histoire, et cela même du point de vue symbolique, si l’on pense au rapport entre Piero et le livre qu’il doit publier… par ailleurs, on pourrait dire la même chose de la maternité, parce que les figures féminines du roman ne sont pas du tout des personnages maternels. On est pratiquement dans un monde absurde, dépourvu de toute valeur rassurante. Y a-t-il besoin de décrire un monde si absurde pour qu’un personnage comme Piero puisse exister ou au contraire est-ce parce que des personnages comme lui existent que le monde du roman semble absurde ?

Cette question est l’une des questions les plus intéressantes du livre, et dont je n’ai pas encore eu l’occasion de parler. Or, je ne crois pas que le point central soit vraiment le contraste entre le monde et le personnage, mais l’absence de traits paternels et maternels est sans aucun doute très intéressante pour analyser mon roman, notamment parce que pendant la rédaction je n’étais pas forcément conscient de cette absence, ni de l’incapacité de maternité et de paternité de tous mes personnages. Cependant, j’avais compris que j’étais en train de traiter cette question d’un point de vue laïque, en considérant l’homme comme venu au monde sans points de repères. Puis, j’ai commencé la psychanalyse et j’ai compris des choses sur mes parents qui m’ont fait découvrir la raison pour laquelle personne dans mon roman ne semble avoir des traits parentaux. Ce niveau d’inconscience et de spontanéité est l’une des choses que je préfère dans l’écriture, c’est ainsi que j’écris mes romans, sans jamais prendre le contrôle sur ma matière narrative mais en laissant l’écriture prendre forme petit à petit. C’est ainsi que ce que j’écris se dessine sous mes yeux et finit par ressembler à une forme vraie. C’est pour cela que je suis très impressionné quand quelqu’un comme toi retrouve dans mes romans des choses que moi-même j’ai mis du temps à découvrir. Aujourd’hui je me rends compte que ce roman a été écrit par quelqu’un qui n’était pas psychologiquement bien, et même si la narration est très lucide dans ses analyses, ma fragilité de cette époque-là est bien reconnaissable dans l’écriture. Mon ex-femme (j’ai rédigé ce roman pendant notre divorce) m’a dit qu’en lisant l’histoire on comprenait que j’étais fou, et moi aussi, à distance de temps, je me suis rendu compte que le dérèglement du personnage est très évident, mais au moment de l’écriture je n’étais pas vraiment conscient de mon état.

On aimerait savoir quelque chose en plus sur l’« innocence » du titre. Dans ton roman personne n’est innocent…

En fait, c’est bizarre, parce que le titre italien est Storia della mia purezza (histoire de ma pureté), mais le choix du mot innocence en français m’avait plu.

Mais peut-on dire que dans le livre être purs veut dire être innocents ?

En réalité, d’un point de vue littéral, non, on ne peut pas dire ça. Une personne peut être pure mais nuire beaucoup. Donc l’innocence du titre français ne devrait pas être prise à la lettre, notamment parce que Piero est quelqu’un qui fait souvent du mal. En allemand on a choisi comme traduction le mot unschuld qui signifie non culpabilité. La version la plus proche de l’italien est celle américaine, avec le mot purity qui est souvent associé à la chasteté, notamment avec l’expression « purity ring », donc un signe d’abstinence sexuelle qui symbolise bien le noyau central de la crise de mon personnage.

Si Piero devait écrire un autre livre sur le Pape, à la lumière des derniers événements qui ont secoué le Vatican, quel serait le titre de sa publication ?

En réalité il ne pourrait plus écrire des livres sur le Pape, parce qu’il en aurait plus les forces, parce que pour lui, comme pour moi, cette parenthèse s’est refermée.