Publié le lundi, 30 novembre 2009 à 19h29
Peppino Impastato ("Blu notte, Misteri italiani" de Carlo Lucarelli)
Carlo Lucarelli consacre un des derniers épisodes de son excellente émission, « Blu notte, Misteri italiani » (Bleu nuit, mystères italiens), intitulé "Sicilia nera" (La Sicile noire, disponible sur Rai.tv) à la Sicile et notamment à l’assassinat de Giuseppe Impastato dit Peppino.
Né en 1948 à Cinisi, près de Palerme, dans une famille de mafieux, Peppino commence très tôt à s’attaquer à « Mafiopoli », ainsi surnommera-t-il sa ville, fief des Badalamenti, affiliés à cosa nostra. C’est précisément après le meurtre du beau-frère de son père, Cesare Mazella, «boss» notoire, perpétré par d’autres mafieux en 1963, qu’il prend conscience de ce dont la Mafia est capable.
Il ressent très tôt le besoin de s’engager pour « changer les choses » et choisit pour ce faire la voie de la politique militante. En 1965, il fonde le journal « L’idea socialista » (rapidement mis sous séquestre) ; à la même époque, il se rapproche du PSIUP (« Partito socialista di unità proletaria ») et en 1973, il adhère à la formation politique « Lotta continua ».
Avec ses compagnons, Peppino fonde une association « Musica e cultura » au sein de laquelle il organise de nombreux débats, activités théâtrales, etc…
En 1976, toujours avec ses compagnons, il créé une radio indépendante, « Radio Aut », dont l’objectif est de diffuser un certain nombre d’idées et un type de culture alternatifs. Au cours des émissions il milite, entre autres, en faveur des droits des travailleurs et de ceux des femmes.
Mais Peppino dénonce surtout la collusion du pouvoir politique avec la Mafia. Doté d’un courage très rare, il s’en prend en effet ouvertement, mais toujours sur le ton de la satire et sans jamais prononcer les véritables noms (mais les surnoms sont parfaitement reconnaissables), à ceux qui gangrènent son pays et en particulier sa terre natale. Dans l’émisson « Onda Pazza », il prend tout particulièrement à parti, et sans ambages, un chef local mafieux (il fait partie de la « coupole » de Cosa Nostra), Gaetano Badalamenti, qu’il surnomme ironiquement « Don Tano Seduto » (il s’agit d’un jeu de mots : « Tano Seduto » fait penser à Toro Seduto, c’est-à-dire, « Sitting Bull », le célèbre chef de tribu et guerrier indien). Malgré les menaces, il continue à dénoncer l’insupportable sans s’embarrasser de la colère qu’il provoque chez ceux qu’il fustige.
En 1978, il se présente aux élections municipales sur la liste du parti d’extrême gauche, « Democrazia Proletaria ».
Dans la nuit du 8 au 9 mai 1978, Peppino est assassiné. On l’a attaché sur la voie ferrée, une charge de TNT placée sous son corps. Quelques jours plus tard, il est tout de même élu au Conseil Municipal.
"Avec les idées et le courage de Peppino, nous avançons"
Carlo Lucarelli revient sur les circonstances de sa mort et surtout, c’est l’objet de l’émission, sur les éléments obscurs, les preuves dissimulées, la volonté évidente de brouiller les pistes.
Pourtant, le rôle de la Mafia dans la mort de Peppino finit par être reconnu. Mais faute de preuves suffisantes (« on » a pris soin de les faire disparaître), le dossier est classé une première fois en 1984 et une seconde fois en 1992. Pour être rouvert 2 ans plus tard, et c’est seulement le 5 mars 2001 que Vito Palazzolo, le bras droit de Gaetano Badalamenti est reconnu coupable du meurtre de Peppino et est condamné à 30 ans de prison. Environ un an plus tard, Badalamenti est condamné à la prison à perpétuité (il était alors déjà incarcéré pour trafic de drogue).
La sentence arrive évidemment très tard, plus de 20 ans après les faits… mais peut-être l’assassinat de Peppino serait-il resté impuni sans l’acharnement de ses proches et notamment de sa mère, soutenus par un fort mouvement d’opinion…
Dès le départ en effet, on chercha à écarter la piste mafieuse et la thèse de l’homicide : on parla de suicide, après la découverte d’une lettre…mais surtout, on tenta de faire passer Peppino pour un terroriste d’extrême gauche (dont la tentative d’attentat aurait mal tourné…). On évoqua même des liens avec les Brigades Rouges…Une véritable calomnie, en somme. La tentative de maquiller cet assassinat en acte terroriste participait bien elle aussi, comme les attentats, massacres et coups d’État, de la «Stratégie de la tension » qui sévissait alors dans toute l’Italie et visait à déstabiliser le pouvoir en place et à travers lui, la démocratie. En Sicile également avait émergé cette stratégie et le principal responsable en était évidemment Cosa Nostra qui s’efforçait de donner à ses propres attentats l’apparence d’actes dus à des organisations d’extrême gauche ou néo-fascistes.
Il est à signaler que la Commission Antimafia et les jugements issus des différents procès formuleront tous des accusations très dures envers les différents acteurs des enquêtes. Trop de fausses pistes, de témoins non entendus, et de pièces à conviction « perdues »…et pas moins de 6 mois pour identifier la piste mafieuse…
Une question demeure toutefois en suspens : pourquoi ces magistrats et carabiniers, qui n’avaient manifestement pas fait correctement leur travail, n’ont-ils pas été interrogés ? N’avaient-ils pas des comptes à rendre à la famille de Peppino, en premier lieu pour avoir souillé sa mémoire dans les premiers temps de l’enquête ?
Un très beau film de Marco Tullio Giordana retrace le combat et l’assassinat de Peppino Impastato : « I Cento passi » (2000, voir un extrait) avec un excellent Luigi Lo Cascio dans le rôle de Peppino.
Marie Giudicelli
-
Ndr Italopolis:
Alors même que le président du Conseil italien Silvio Berlusconi est annoncé de partout comme imminemment mis en examen dans le cadre des enquêtes sur les attentats mafieux de la "saison des bombes"... alors même qu'il déclare souhaiter qu'on ne parle pas de mafia car cela "ternit l'image du pays"... alors même que son bras droit Dell'Utri (sénateur, déjà condamné, en appel) nous ressert le concept cher à cosa nostra que "la mafia n'existe pas"... je remercie vivement Marie Giudicelli de nous avoir envoyé ce très bel article. "Peppino" avait 30 ans et il est mort parce qu'il avait refusé la mafia, et le hurlait. La mafia existe oui, elle est un "tas de merde" oui, ainsi que ceux qui soutiennent le contraire. Les juges Falcone, Borsellino, Chinnici et tant d'autres ne me contrediront pas: ils sont morts assassinés par la même maladie. vV
"Mon père, ma famille, mon pays! Je veux m'en battre! Moi je veux écrire que la mafia est une montagne de merde! Moi je veux pouvoir hurler que mon père est un lèche-cul! Nous devons nous rebeller. Avant qu'il ne soit très tard! Avant de nous habituer à leurs visages! Avant de ne plus nous rendre compte de rien". (« Mio padre, la mia famiglia, il mio paese! Io voglio fottermene! Io voglio scrivere che la mafia è una montagna di merda! Io voglio urlare che mio padre è un leccaculo! Noi ci dobbiamo ribellare. Prima che sia troppo tardi! Prima di abituarci alle loro facce! Prima di non accorgerci più di niente! ») Peppino Impastato -Luigi Lo Cascio dans Les Cent pas, 2000
Né en 1948 à Cinisi, près de Palerme, dans une famille de mafieux, Peppino commence très tôt à s’attaquer à « Mafiopoli », ainsi surnommera-t-il sa ville, fief des Badalamenti, affiliés à cosa nostra. C’est précisément après le meurtre du beau-frère de son père, Cesare Mazella, «boss» notoire, perpétré par d’autres mafieux en 1963, qu’il prend conscience de ce dont la Mafia est capable.
Il ressent très tôt le besoin de s’engager pour « changer les choses » et choisit pour ce faire la voie de la politique militante. En 1965, il fonde le journal « L’idea socialista » (rapidement mis sous séquestre) ; à la même époque, il se rapproche du PSIUP (« Partito socialista di unità proletaria ») et en 1973, il adhère à la formation politique « Lotta continua ».
Avec ses compagnons, Peppino fonde une association « Musica e cultura » au sein de laquelle il organise de nombreux débats, activités théâtrales, etc…
En 1976, toujours avec ses compagnons, il créé une radio indépendante, « Radio Aut », dont l’objectif est de diffuser un certain nombre d’idées et un type de culture alternatifs. Au cours des émissions il milite, entre autres, en faveur des droits des travailleurs et de ceux des femmes.
Mais Peppino dénonce surtout la collusion du pouvoir politique avec la Mafia. Doté d’un courage très rare, il s’en prend en effet ouvertement, mais toujours sur le ton de la satire et sans jamais prononcer les véritables noms (mais les surnoms sont parfaitement reconnaissables), à ceux qui gangrènent son pays et en particulier sa terre natale. Dans l’émisson « Onda Pazza », il prend tout particulièrement à parti, et sans ambages, un chef local mafieux (il fait partie de la « coupole » de Cosa Nostra), Gaetano Badalamenti, qu’il surnomme ironiquement « Don Tano Seduto » (il s’agit d’un jeu de mots : « Tano Seduto » fait penser à Toro Seduto, c’est-à-dire, « Sitting Bull », le célèbre chef de tribu et guerrier indien). Malgré les menaces, il continue à dénoncer l’insupportable sans s’embarrasser de la colère qu’il provoque chez ceux qu’il fustige.
En 1978, il se présente aux élections municipales sur la liste du parti d’extrême gauche, « Democrazia Proletaria ».
Dans la nuit du 8 au 9 mai 1978, Peppino est assassiné. On l’a attaché sur la voie ferrée, une charge de TNT placée sous son corps. Quelques jours plus tard, il est tout de même élu au Conseil Municipal.
"Avec les idées et le courage de Peppino, nous avançons"
Carlo Lucarelli revient sur les circonstances de sa mort et surtout, c’est l’objet de l’émission, sur les éléments obscurs, les preuves dissimulées, la volonté évidente de brouiller les pistes.
Pourtant, le rôle de la Mafia dans la mort de Peppino finit par être reconnu. Mais faute de preuves suffisantes (« on » a pris soin de les faire disparaître), le dossier est classé une première fois en 1984 et une seconde fois en 1992. Pour être rouvert 2 ans plus tard, et c’est seulement le 5 mars 2001 que Vito Palazzolo, le bras droit de Gaetano Badalamenti est reconnu coupable du meurtre de Peppino et est condamné à 30 ans de prison. Environ un an plus tard, Badalamenti est condamné à la prison à perpétuité (il était alors déjà incarcéré pour trafic de drogue).
La sentence arrive évidemment très tard, plus de 20 ans après les faits… mais peut-être l’assassinat de Peppino serait-il resté impuni sans l’acharnement de ses proches et notamment de sa mère, soutenus par un fort mouvement d’opinion…
Dès le départ en effet, on chercha à écarter la piste mafieuse et la thèse de l’homicide : on parla de suicide, après la découverte d’une lettre…mais surtout, on tenta de faire passer Peppino pour un terroriste d’extrême gauche (dont la tentative d’attentat aurait mal tourné…). On évoqua même des liens avec les Brigades Rouges…Une véritable calomnie, en somme. La tentative de maquiller cet assassinat en acte terroriste participait bien elle aussi, comme les attentats, massacres et coups d’État, de la «Stratégie de la tension » qui sévissait alors dans toute l’Italie et visait à déstabiliser le pouvoir en place et à travers lui, la démocratie. En Sicile également avait émergé cette stratégie et le principal responsable en était évidemment Cosa Nostra qui s’efforçait de donner à ses propres attentats l’apparence d’actes dus à des organisations d’extrême gauche ou néo-fascistes.
Il est à signaler que la Commission Antimafia et les jugements issus des différents procès formuleront tous des accusations très dures envers les différents acteurs des enquêtes. Trop de fausses pistes, de témoins non entendus, et de pièces à conviction « perdues »…et pas moins de 6 mois pour identifier la piste mafieuse…
Une question demeure toutefois en suspens : pourquoi ces magistrats et carabiniers, qui n’avaient manifestement pas fait correctement leur travail, n’ont-ils pas été interrogés ? N’avaient-ils pas des comptes à rendre à la famille de Peppino, en premier lieu pour avoir souillé sa mémoire dans les premiers temps de l’enquête ?
Un très beau film de Marco Tullio Giordana retrace le combat et l’assassinat de Peppino Impastato : « I Cento passi » (2000, voir un extrait) avec un excellent Luigi Lo Cascio dans le rôle de Peppino.
Marie Giudicelli
-
Ndr Italopolis:
Alors même que le président du Conseil italien Silvio Berlusconi est annoncé de partout comme imminemment mis en examen dans le cadre des enquêtes sur les attentats mafieux de la "saison des bombes"... alors même qu'il déclare souhaiter qu'on ne parle pas de mafia car cela "ternit l'image du pays"... alors même que son bras droit Dell'Utri (sénateur, déjà condamné, en appel) nous ressert le concept cher à cosa nostra que "la mafia n'existe pas"... je remercie vivement Marie Giudicelli de nous avoir envoyé ce très bel article. "Peppino" avait 30 ans et il est mort parce qu'il avait refusé la mafia, et le hurlait. La mafia existe oui, elle est un "tas de merde" oui, ainsi que ceux qui soutiennent le contraire. Les juges Falcone, Borsellino, Chinnici et tant d'autres ne me contrediront pas: ils sont morts assassinés par la même maladie. vV
"Mon père, ma famille, mon pays! Je veux m'en battre! Moi je veux écrire que la mafia est une montagne de merde! Moi je veux pouvoir hurler que mon père est un lèche-cul! Nous devons nous rebeller. Avant qu'il ne soit très tard! Avant de nous habituer à leurs visages! Avant de ne plus nous rendre compte de rien". (« Mio padre, la mia famiglia, il mio paese! Io voglio fottermene! Io voglio scrivere che la mafia è una montagna di merda! Io voglio urlare che mio padre è un leccaculo! Noi ci dobbiamo ribellare. Prima che sia troppo tardi! Prima di abituarci alle loro facce! Prima di non accorgerci più di niente! ») Peppino Impastato -Luigi Lo Cascio dans Les Cent pas, 2000