Politique et économie

Publié le lundi, 19 octobre 2009 à 18h27

Vu à la télé: Berlusconi fait espionner le juge qui l'a condamné

Par Vito Vespucci

(L'Unità, 17.10.2009, Claudia Fusani) "Reportage diffamatoire commandé ad-hoc sur le juge Mesiano: "Les caméras de Canale 5, chaine Mediaset de propriété berlusconienne, suivent le juge Mesiano alors qu'il déambule dans les rues, va chez le coiffeur, ou fume une cigarette"

Les télécaméras d'un journal télévisé utilisées pour "fouiller dans la vie privée de quelqu'un"

Ici le sujet est un juge, et plus précisément celui qui a prononcé une sentence allant contre les intérêts de l'entreprise "famille Berlusconi" (affaire CIR/Mondadori). Du jamais vu, pas même dans les pires dictatures, ni dans les plus louches régimes. Si on en est déjà là, il est alors angoissant d'imaginer jusqu'où cela pourrait aller. Aussi parce que c'est Berlusconi lui-même qui avait annoncé le "dossier" en arrivée contre le juge milanais qui a condamné Fininvest à indemniser le CIR avec 750 millions d'euros (dans le cadre de l'affaire Mondadori, ndlr) : "(au sujet de Mesiano) vous allez en voir et en entendre de biens bonnes" avait prophétisé Berlusconi.

Francesco Pizzetti, président de l'autorité garante de la privacy (vie privée) est en train d'évaluer tous ces éléments, suite aux plaintes lui étant parvenues de l'Association Nationale des Magistrats (ANM) et de la Fédération Nationale de la Presse (FNS). Sa réponse: "l'ouverture d'une instruction est possible". Extrêmement dures sont les prises de position adoptées en réaction au "reportage" par les FNS, ANM et CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature) : "dénigrement inacceptable", "massacre médiatique", "méthode KGB" (Giuletti, Parti Démocrate), et "usage criminel de la télévision, pire que la STASI".

Le reportage

Le reportage incriminé est passé à l'antenne jeudi matin (15 octobre 2009) sur "Mattino 5" (le matin de la 5), espace réservé aux informations et présenté par Claudio Brachino. Un sujet de 4 minutes que ce dernier lance ainsi: "regardez donc un peu ce que fait et qui est le juge qui a condamné la Fininvest". La voix-off de la journaliste accompagne les images qui reprennent le juge Mesiano, tôt le matin alors qu'il marche sur le trottoir, fume, entre chez le coiffeur, se relaxe pendant qu'on le rase et lui lave les cheveux, puis s'assoit sur un banc pour fumer une nouvelle cigarette. "Mocassins blancs et chaussettes bleu ciel, le genre de choses à éviter d'endosser dans un tribunal" fait remarquer la journaliste. La parole revient à Brachino qui commente alors le reportage utilisant comme guide un article du Giornale (propriété de la famille Berlusconi, ndlr) dédié à la promotion du juge par le CSM, sans préciser qu'elle a été faite une semaine avant la sentence (Il Giornale sous-entend qu'il a été promu-en fait "remercié- pour avoir condamné Berlusconi, ndlr). Il Giornale d'hier a consacré un nouvel article à Mesiano, basé sur le témoignage, anonyme, d'un avocat se souvenant qu' "en 2006 Mesiano exulta en public, dans un restaurant, quand Berlusconi perdit les élections" (c'est dire: "qu'il exulta à la victoire de Prodi" ndlr).

L'ANM, association nationale des magistrats, est la première à bouger, et sur deux fronts. Son président Palamara et son secrétaire Cascini ont écrit au président de la République Napolitano utilisant les termes de "travail inédit de dénigrement médiatique à l'encontre d'un magistrat repris abusivement dans le cadre de sa vie quotidienne et définissant extravagants ses comportements". Ils ont également dénoncés leur "préoccupation pour une grave tension impliquant les Institutions du pays et risquant d'altérer l'équilibre entre les différents pouvoirs au sein de l'État". Dans un autre courrier, l'ANM a réclamé l'intervention de Pizetti (président de l'autorité garante de la privacy). Le Conseil Supérieur de la Magistrature s'est procurée une copie du reportage incriminé et engagera une enquête au sujet ce mardi"."

     Auteur: Claudia Fusani, Roma (L'Unità)
     "Giudice "spiato" da Mediaset. protesta ANM: denigrazione"
     17 octobre 2009
     Traduction: Vito Vespucci

Ndlr: Le soutien au juge Mesiano se matérialise (virtuellement) en ces heures par l'apparition d'images ou bandeaux évoquant des "chaussettes turquoises" sur divers sites italiens, en soutien au "magistrat désaxé" qui semble-t-il, donc, en porte. "La politique des chaussettes turquoises" commente ironiquement ce matin Il Giornale (la voix de son patron) qui repousse chaque jour les frontières de l'indécence journalistique à l'infini. Dario Franceschini, actuel secrétaire du Parti Démocrate (veltronien, et futur perdant semble-t-il des primaires contre Bersani, le candidat de D'Alema -celui qui aime les barques-) a été l'un des premiers à les endosser, préférant les montrer plutôt que commenter l'affaire, ce qui aurait été pourtant amplement souhaitable. Avant qu'il ne les range dans l'armoire "souvenir de campagne", à côté des mocassins blancs car on ne sait jamais (sur le budget "primaires"?).

(Illustration: soutien du quotidien "Il Fatto Quotidiano" à Mesinao)

     vV