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Publié le mardi, 29 mai 2018 à 15h38

Alice Rohrwacher de nouveau sur la Croisette de Cannes

Par Chiara Cipollone

Lazzaro FeliceLe festival de Cannes, édition 2018, s’est conclu il y a quelques jours ; parmi les gagnants figurent deux noms italiens : la réalisatrice Alice Rohrwacher et l’acteur Marcello Fonte. Si Marcello Fonte a remporté le prix de meilleur interprète masculin pour le rôle de Canaro, dans le film « Dogman » de Matteo Garrone, Alice Rohrwacher a frappé et ému le public avec son troisième film « Heureux comme Lazare » (« Lazzaro felice ») qui lui a valu le prix du scénario (ex-aequo avec Nader Saeivar) et dix minutes d’applaudissements à la fin de la projection au Grand Théâtre Lumière de Cannes.

Née à Fiesole (Toscane) en 1980 et sœur cadette de l’actrice Alba Rohrwacher, Alice Rohrwacher est une réalisatrice italienne au regard poétique qui débuta dans le monde du cinéma en 2011 avec le long métrage « Corpo celeste » qui lui a valu le Nastro d’argento. En 2014, elle a écrit et réalisé le film « Les marveilles », histoire d’une famille d’apiculteurs installée dans la campagne de l’Ombrie en Italie. Enfin, « Heureux comme Lazare », sa dernière œuvre, fut conclu quelques jours avant la présentation au festival de Cannes. Ce film raconte l’histoire d’un jeune paysan au regarde naïf nommé Lazare, interprété par l’acteur Adriano Tardiolo.

Qui est Lazare ? C’est un berger, adolescent, un peu perdu mais heureux, un saint peut-être qui est entouré par la malveillance humaine sans en être touché. Un symbole de pureté presque absolue qui rappelle le prince Mychkine, l’idiot de Dostoevskij, pourvu d’une bonté confinant à la naïveté et l’idiotie. Lazare ne sait pas vraiment distinguer entre le Bien et le Mal, il a grandi parmi des métayers exploités et il ignore le monde et l’identité de ses parents aussi. La communauté où Lazare vit se situe dans un hameau au centre de l’Italie (L’Inviolata) écarté du monde réel et hors du temps, éléments qui soulignent la dimension mythique et aussi merveilleuse des événements. Malgré cet éloignement symbolique de la réalité ce que l’on raconte n’est pas vraiment hors de l’Histoire. Il s’agit, en effet, d’un groupe constitué d’exploiteurs et d’exploités sans droits et proches de la glèbe médiévale. Un monde rappelant celui du réalisateur italien Ermanno Olmi, disparu le 7 mai 2018, qui a raconté dans le film « L’arbre aux sabots » (1978) la condition humble et soumise des paysans lombards à la fin du XIX siècle.

La référence à Olmi n’est pas un hasard car Alice Rohrwacher a cité ce réalisateur parmi ses modèles (avec notamment Taviani) et elle s’est dite « perdue » après son décès. A travers le protagoniste Lazare, donc, la réalisatrice nous fait le récit d’une humanité misérable depuis un passé atemporelle, mais relativement récent, jusqu’au présent. Un présent qui s’étale cette fois dans la périphérie anonyme d’une grande ville et où les mêmes travailleurs, désormais âgés, continuent à être exploités. On comprend enfin le sens politique du film : la condition anthropologique et sociale de ces gens reste inchangée malgré l’émancipation de leur patronne d’antan, la marquise De Luna (Nicoletta Braschi). Délivrés des chaines de l’esclavage ils tombent à nouveau dans une condition de subalternité sociale dans l’époque contemporaine qui, comme disait l’écrivaine Elsa Morante, se configure tel qu’un nouveau moyen âge, peut-être plus évolué d’un point de vue technologique mais moins avancé d’un point de vue social et éthique.

Lazare est donc la métaphore de l’humanité universelle d’hier et d’aujourd’hui. Son universalité et sa dimension religieuse, qui le rapproche de Saint François, permet, en dépit de son caractère fantastique, une lecture du présent et une anamnèse du réel.

http://www.anglesdevue.com/cannes-2018-heureux-comme-lazzaro-d-alice-rohrwacher/

https://www.youtube.com/watch?v=k5nM0w9Bq8c

https://www.youtube.com/watch?v=gfkHP_uGYZ0