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Publié le mardi, 4 mai 2010 à 13h34

Le Grande Torino, un mythe immortel

Par Francesca Melle

Le Grande TorinoCe jour-là, il y a 61 ans, le ciel de Turin était sombre et chargé de pluie. Un terrible orage éclata, la visibilité était presque nulle, le vent très fort. Un avion volait autour de la colline de Superga, surmontée par la basilique abritant les tombes de la famille royale de Savoie. À 17h03, soudain un fracas, l’avion s’écrasa contre les remparts postérieurs de l’église. Peu à peu, les rumeurs se répandirent dans la ville, “L’avion du Grande Torino est tombé ! Le Grande Torino est mort”.

4 mai 1949, l’équipe de football la plus forte d’Italie, l’une des meilleures d’Europe à ce moment-là, avait disparu d’un seul coup, entièrement.
Incrédulité, effroi, rage, désespoir montèrent parmi tous les turinois, ceux qui supportaient le Toro et ceux qui l’admiraient car il représentait le symbole de la renaissance de l’Italie après la guerre. Ce Torino, qui avait gagné quatre championnats nationaux consécutifs et était en tête aussi cette année-là, près de se couronner de son cinquième laurier, qui avait donné dix de ses joueurs en même temps à l’équipe nationale italienne, était devenu pour tout le monde le Grande Torino.

Ils rentraient d’un match amical à Lisbonne, contre le Benfica. Dans l’avion il y avait, outre les joueurs (y compris les remplaçants), l’entraîneur et ses collaborateurs, trois dirigeants, trois journalistes et l’équipage : trente et une victimes, un choc au niveau international. Le jour des funérailles, près d’un million de personnes alla rendre hommage aux champions décédés, dont les cercueils défilaient dans le centre-ville.

Dès lors, le Grande Torino était entré définitivement dans le mythe. La force symbolique des jeunes héros morts au sommet de leur gloire le liait à la tragédie grecque, le sport étant devenu le champ de bataille moderne, encore plus après une guerre mondiale ravageuse qui avait mis le pays à genoux et que tout le monde voulait seulement oublier. Une équipe déjà légendaire en vie s’est retrouvée rivée à jamais dans la galerie des icônes immortelles.
Le foot et le cyclisme, rien qu’à eux deux, ont contribué à redonner une image “propre” et une identité nationale à un peuple déchiré entre les responsabilités de son gouvernement dans la guerre et l’envie de se racheter. D’un côté les gestes de Coppi et Bartali, de l’autre ceux du Grande Torino : ils avaient été tous interrompus par la guerre, mais ils avaient continué leurs épopées après sa fin, en atteignant la dimension de porte-drapeau de la reconstruction du pays. Sans oublier la façon très différente d’appréhender le sport et en particulier le foot, par rapport à aujourd'hui : à cette époque, on rencontrait les joueurs dans le tramway, plusieurs d’entre eux travaillaient normalement, il n’existait pas encore le professionnalisme et ses attitudes de vedette.

L’émotion suscitée par la tragédie multiplia les initiatives de solidarité en faveur des familles des défunts.
Au fil des ans, l’histoire unique de cette équipe a inspiré des livres, des poésies, des films, et toutes sortes de commémorations, ainsi que la création d’un musée sur l’histoire de la société sportive du Torino, dont une partie est dédiée au recueil des reliques de l’époque : le Museo del Grande Torino e della Leggenda Granata. Un musée qui a vécu des vicissitudes plutôt étranges si l’on pense à l’importance de cette équipe dans l’histoire citadine : tout d’abord abrité dans deux petites salles annexes à la basilique de Superga (y avait-il un endroit plus adapté que celui où le drame s’était déroulé ?), il a été expulsé de ces locaux et est resté fermé longtemps dans l’attente de trouver un nouvel accueil. Et tout cela dans l’indifférence des autorités municipales, il faut le souligner (et là on pourrait rappeler ce qui apparaît aussi comme un manque d’intérêt: le stade historique du Grande Torino, le Filadelfia est démoli et en ruines, mais présente un grand intérêt spéculatif au niveau immobilier et plusieurs personnages aimeraient mettre la main dessus...). Le musée a recommencé à vivre lorsque la municipalité de Grugliasco, ville de la banlieue ouest de Turin, lui a concédé une villa dont elle est propriétaire : l’espace à disposition du musée a triplé par rapport à l’ancien emplacement et beaucoup plus d’objets sont aujourd’hui exposés.

Comme tous les ans, cet après-midi le peuple du Toro se réunira à Superga, devant la plaque commémorative placée sur le lieu de l’accident et devenue un symbole des liens d’amitié et de loyauté sportive incarnés par les joueurs du Grande Torino, liens qu’on se transmet de père en fils, dans les familles de foi granata. La littérature a appelé ces champions les Immortels: loin d’être devenus des images pieuses dépouillées de toute signification, ils ne cessent d’inspirer ceux qui cherchent une dimension plus humaine dans le sport et le foot, de plus en plus animés par de mauvais sentiments.

Pour en savoir plus, voici un lien vers la section consacrée au Grande Torino du beau et riche site d’un passionné : La Città Granata ; sur sa page d'accueil est affichée en ce moment une vidéo sur le sujet.