Publié le jeudi, 19 mars 2009 à 18h06
Paolo Giordano
Paolo Giordano est le jeune auteur (il n’a que 27 ans) du roman La solitude des nombres premiers, livre phénomène en Italie pour lequel il a obtenu le prix Strega et le prix Campiello du premier roman. Nous avons rencontré ce jeune doctorant en physique théorique à l’occasion de la parution de son roman en France. Quelles sont vos références littéraires ?
Surtout des auteurs américains et anglais comme Ian McEwan, Wallace, Michael Cunningam. Mais pour mon livre j’ai été influencé surtout par Houellebecq.
En effet, en lisant votre livre j’ai pensé tout de suite aux « Particules élémentaires »...
J’étais en train de le lire pendant que j’écrivais mon livre. C’était un peu difficile car j’avais la tendance à converger sur son histoire. Dans mon livre il y a un peu la même cruauté mais pas autant de provocation. Il y a aussi Roth que j’aime beaucoup… je lis des livres très différents.
Surtout des étrangers
Oui, surtout des étrangers. Concernant la littérature francophone, j’aime beaucoup Simenon et je suis de ceux qui ont adoré Les Bienveillantes. J’ai lu aussi des classiques italiens comme Calvino, mais il ne fait pas partie de mes préférés. Je cherche des livres qui provoquent plus d’émotion, tandis que Calvino a cette manière un peu froide et cérébrale. En effet, je n’ai pas de « grands amours » parmi les classiques italiens, peut-être Buzzati, Bassani, Pontiggia. En revanche j’aime beaucoup les « classiques » allemands comme Böll, Grass, Thomas Mann. Et j’adore Kafka.
Mis à part le Houellebecq des « Particules élémentaires », il n’existe pas beaucoup de livres qui proposent une intégration d’éléments scientifiques dans un roman, on ne peut pas parler d’un vrai courant littéraire.
Non. Lorsqu’on essaie de trouver d’autres auteurs, on trouve toujours les mêmes : Gadda, Primo Levi, Calvino. C’est pour cela que je n’ai pas l’impression de poursuivre une tradition. Je me suis tout simplement appuyé sur mon background. Surtout au début, c’est toujours mieux de commencer par ce qu’on connaît bien. J’avais une forte formation scientifique et donc pour moi c’était évident d’aller dans cette direction. Toutes les notions techniques, très spécialisées peuvent devenir très littéraires. Si on arrive à bien les utiliser, à les rendre fascinantes, ça devient un gisement précieux.
La vie particulière, isolée, des deux protagonistes Alice et Mattia découle-t-elle directement de leur accident ? Ou bien en tant que « nombres premiers » y avait-il quelque chose de préétabli ?
J’ai essayé pendant toute la narration d’échapper au rapport cause effet entre le traumatisme de l’enfance et ce qu’ils vont devenir. Ce serait trop linéaire. Il est vrai aussi que ce que j’avais écrit au début était tellement encombrant que même en essayant d’y échapper on y revenait forcément. Il est évident qu’une bonne partie de leur personnalité s’est formée en partant de cette « obscurité » du début mais ensuite beaucoup d’éléments s’y sont ajoutés en cours de route. Donc je n’en ferais pas une conséquence directe.
Les deux premiers chapitres sont très particuliers, presque des nouvelles.
Je voulais écrire un roman, je m’étais fixé ce but dès le début. Avant celui-ci j’ai fait deux tentatives pour lesquelles j’avais une histoire plus compacte. Mais je connaissais cette histoire tellement bien que peu après avoir commencé je perdais tout intérêt à la poursuivre. Et donc je me suis dis, je vais faire semblant d’écrire des nouvelles et le résultat a été ces deux « incipit », qui ressemblent à deux nouvelles. En réalité initialement elles étaient trois. Au début les deux histoires ne devaient jamais se croiser, mais à un moment donné, j’ai senti l’exigence qu’elles se rencontrent. Même pour le reste du livre je faisais semblant avec moi-même d’être encore en train d’écrire des nouvelles car c’est la dimension avec laquelle je me sentais le plus à l’aise.
Les deux enfants de votre histoire viennent de milieux assez différents.
Ils font tous les deux partie d’une classe moyenne. Pour Alice c’est plutôt du côté de la haute bourgeoisie tandis que la famille de Mattia est à un niveau social un peu plus bas.
Ils fréquentent quand même des écoles bien différentes.
Oui, et c’est plus ou moins ce qui m’est arrivé à moi-même. Je viens d’une famille de la classe moyenne et au lycée je me suis retrouvé par concours de circonstances dans une école de la haute bourgeoisie turinoise et pour moi ce fut assez difficile de m’intégrer.
Comment avez-vous vécu votre succès soudain ?
Au tout début, j’ai trouvé tout ça assez brutal et agressif. Mon travail m’avait habitué à une certaine isolation. Je travaillais dans un environnement calme et feutré. Et tout d’un coup je me suis senti totalement exposé, traîné dehors de force. D’autant plus qu’au-delà du fait que je n’imaginais pas ce succès, je ne pensais pas qu’autour d’un livre il pouvait y avoir autant de travail relationnel (interviews, salons, débats…). Au début j’ai donc dû faire un gros effort. Mais maintenant je me suis habitué.
Comment ont réagi vos nouveaux collègues écrivains, vu que vous n’étiez pas du milieu et votre formation n’est même pas littéraire ?
Je dois dire qu’ils ont très bien réagi. Initialement même avec un certain enthousiasme. Je venais de l’extérieur, j’étais donc un élément « propre ». Proportionnellement à l’augmentation du succès une partie du milieu a commencé à me voir comme une sorte de « zombie », un personnage encombrant. Mais dans l’ensemble je dois admettre que l’accueil a été très chaleureux. Il y a peut-être eu des jalousies mais je ne les ai pas perçues. Ce qui m’a étonné c’est qu’en réalité j’ai provoqué beaucoup plus de rancœurs parmi certains lecteurs, qui l’ont exprimé surtout sur Internet. Ils ont colporté des rumeurs sur la façon dont ce livre a été conçu totalement fausses car tout s’est passé de façon très régulière.
Peut-être parce qu’il n’y a plus d’éditeurs en Italie qui lisent les manuscrits. Plus aucun éditeur n’a de comité de lecture.
On a cette idée que les maisons d’éditions ne lisent pas les manuscrits qu’elles reçoivent mais c’est totalement faux. Les éditeurs lisent tous les manuscrits. Moi aussi j’avais cette idée avant de publier mais là je m’aperçois que c’est faux. Il y a beaucoup de manuscrits qui arrivent, tout est lu mais il est évident que dans la sélection faite par les éditeurs des bons textes sont peut-être écartés et des mauvais peut-être retenus. Une maison d’édition peut essayer de miser sur un livre, de le pousser mais s’il est mauvais et le public ne l’aime pas, il n’aura aucune chance.
Comment jugez-vous l’état de la littérature en Italie ?
C’est une bonne période, il y a des débats, des discussions. Beaucoup d’auteurs de la nouvelle génération sont très actifs et font bouger les choses et ça paie car enfin notre littérature sort des confins nationaux, après une longue période d’absence. Il y a des groupes d’auteurs qui se forment pour débattre autour de thèmes très graves et intéressants. Je trouve qu’elle est vraiment en bonne santé.
Surtout par rapport à d’autres pays comme la France où tout est plutôt statique.
En effet, en Italie depuis quelques temps on ne publie pas beaucoup d’auteurs français. Mis à part les grands noms tels que Houellebecq, on ne voit guère de jeunes écrivains.