Interviews

Publié le vendredi, 20 février 2009 à 11h47

Valerio Evangelisti

Par Stefano Palombari

evangelisti.jpgValerio Evangelisti est un écrivain de Bologne connu notamment pour ses polars et ses livres de science-fiction. Sa série Eymerich a obtenu un franc succès et a été traduite dans plusieurs langues.
Nous l'avons rencontré en février 2009, lors de son passage à Paris pour présenter son livre La Coulée de feu et participer à un débat sur la Nouvelle épique italienne organisé dans le cadre de la Fête du livre et des cultures italiennes.

La Coulée de feu, votre roman sur le Mexique, me semble totalement « New Epic ».

Je ne sais pas. En effet, le roman a été écrit avant que ce terme ne soit inventé. Il y a été inséré a posteriori. Mais justement ce terme New Epic veut montrer des tendances qui étaient déjà présentes. Ce n’est pas du tout un programme pour le futur. J’accepte la définition, elle me convient parfaitement. Mais ce n’est pas moi qui l’ai créée. Chaque critique littéraire est libre de classer les livres comme il le souhaite.

En tous cas, j’ai l’impression que ce n’est pas une définition qui laisse indifférent. Soit on n’y adhère, soit on la combat.

Il y a différentes raisons à cela. Tout d’abord c’est une définition qui n’a pas été conçue par la critique traditionnelle mais par des écrivains. Ceux-ci ont donc usurpé le métier des critiques. Ce qui n’était pas le cas depuis quelques temps. Rappelons que dans le passé c’était assez fréquent qu’un écrivain soit aussi critique de ses collègues et qu’il intervienne sur des thèmes littéraires.

La deuxième raison découle d’une interprétation erronée de ce document de WM 1. Certains l’ont perçu comme une sorte de manifeste. Ou bien comme une espèce de programme qui départagerait d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Ce qui a énervé pas mal de gens. Mais en réalité ce n’était qu’un classement réalisé sur la base d’un certain nombre de points communs relevés dans une partie de la production littéraire italienne de ces derniers temps. Le but principal étant celui de mettre un peu d’ordre.

La critique littéraire n’a-t-elle plus de rôle à jouer ?

La critique littéraire est plutôt en crise. Elle est dépassée par les événements. Mais la critique académique et encore moins bien lotie. Heureusement que lorsqu’on va rencontrer les Italiens qui vivent à l’étranger en France, en Belgique, dans toute l’Europe et les Etats-Unis, on retrouve des réflexions beaucoup plus approfondies.

C’est peut-être aussi à cause de la distance, qui permet une vision plus globale et objective.

Oui sans doute mais aussi l’absence de logiques académiques qui imposent de répéter toujours la même chose pour pouvoir faire carrière. Apparemment à l’étranger c’est un phénomène moins présent, ce qui permet une plus grande liberté.

Revenons à votre livre qui se passe au Mexique entre 1859 et 1890. Un livre sur les rapports entre ce pays et d’autres nations en particulier les États-Unis. Pourquoi donc le Mexique et pourquoi cette période ?

Le choix du Mexique est dû tout d’abord à des raisons personnelles. Je vis une partie de l’année au Mexique. Et j’avais donc envie de parler du pays qui m’héberge. D’autant plus que la connaissance que les Mexicains ont de leur histoire est assez incomplète. Ce pays a été jusqu’à il n’y pas très longtemps un véritable régime. Pas une dictature mais un régime, doté d’une histoire « officielle ». J’ai donc voulu raconter la partie de l’histoire que les Mexicains ne connaissaient pas. Le livre est essentiellement conçu pour un public mexicain. Ce qui peut poser quelques problèmes aux lecteurs d’autres pays. C’est pour cela que dans l’édition française on a ajouté une chronologie au début du livre.

Mais ce livre n’est que la première partie. En italien, les titres sont Il collare di fuoco et Il collare spezzato (Le collier de feu et Le collier brisé). Dans le deuxième volume, Le collier brisé, il y a une bibliographie très détaillée. Mon but était de parler d’une période très tourmentée de l’histoire du Mexique qui s’achève en 1930, date à laquelle se termine justement le deuxième volume.

J’ai voulu écrire une histoire chorale. Pour ce faire, j’ai fait en sorte que le lecteur ne puisse pas suivre les agissements des protagonistes du roman du début jusqu’à la fin. Très Souvent des chapitres s’interrompent au beau milieu d’un événement individuel et puis le chapitre suivant démarre quand l’événement s’est déjà terminé. Je ne voulais pas que le lecteur s’attache aux personnages et s’identifie à eux. Car le vrai personnage principal est l’histoire du Mexique.

J’ai remarqué que La Coulée de feu s’ouvre et se referme sur les deux mêmes personnages.

Il y a une profonde transformation de ces deux personnages entre les premières et les dernières pages. L’héroïque ranger du Texas devient une sorte de tueur à gage tandis que la veuve légère et superficielle se transforme presque en une héroïne qui tue le tyran. Tout ça pour montrer les changements que les événements historiques sus-jacents peuvent provoquer chez l’individu.

Et le Mexique d’aujourd’hui ?

Le Mexique d’aujourd’hui est une réalité fort complexe qui a hérité de son passé un taux de violence très élevé, notamment dans certaines zones du pays. Mais en même temps il y a une force démocratique de fond que personne n’est parvenu à terrasser, ce qui en fait un pays très contradictoire et extrêmement vivant, qui n’a pas encore terminé son évolution. Et cela est très rassurant par rapport à d’autres pays qui ont déjà terminé leur évolution.

J’ai l’impression que ce changement concerne toute l’Amérique latine.

Je pense que certaines réponses au mouvement qu’on observe actuellement se retrouvent aussi dans mon livre. Je fais un exemple, récemment certains pays de l’Amérique du sud ont vu des Indios (des indigènes) accéder au gouvernement. Ce qui ne s’était jamais produit auparavant.
Dans mon livre, on peut suivre l’ascension de ceux qui au Mexique étaient les plus méprisés. La situation s’est améliorée mais lorsqu’on allume la télé on ne voit que des blancs, souvent blonds. Il reste encore beaucoup à faire.