Publié le lundi, 22 décembre 2008 à 18h34
Andreotti et le meurtre de Mino Pecorelli
Ce fut le boss mafieux Tommaso Buscetta le premier à parler de Giulio Andreotti aux juges. Et pas à n'importe quel juge mais à Giovanni Falcone. C'était en 1984, c'est à dire 5 ans après le meurtre du journaliste Mino Pecorelli. Et ce n'était pas au cours d'un interrogatoire mais une discussion informelle. Nous le savons grâce au témoignage de Richard Martin, procureur départemental adjoint de Manhattan. Tommaso Buscetta aurait fait des révélations concernant les rapports troubles entre Giulio Andreotti et les affaires Moro, Pecorelli et Dalla Chiesa.
Giulio Andreotti serait le fil rouge qui lie toutes ces affaires entre elles. Mino Pecorelli était sur le point de publier des extraits du célèbre Mémorial Moro, dont tout le monde parlait mais que personne ne connaissait. Il s’agit de la transcription des interrogatoires de Aldo Moro faits par les Brigades Rouges pendant la captivité de l’homme politique.
A l’époque on ne connaissait que les 49 feuillets écrits par les brigadistes en guise de résumé des déclarations que Aldo Moro avait faites pendant sa captivité. Des rumeurs disaient que la version intégrale (420 pages manuscrites) contenait des éléments très compromettants pour plusieurs hommes politique et notamment pour Andreotti.
Ces 420 pages furent retrouvées seulement en 1990 dans l’appartement de via Monte Nevoso, l’une des cachettes des brigadistes. Apparemment Mino Pecorelli avait eu entre ses mains ce Mémorial déjà en 1979. Il l’aurait reçu des mains du général Carlo Alberto Dalla Chiesa, qui était un de ses amis. L’un des mobiles du meurtre de Pecorelli aurait été donc d’éviter que ces documents soient publiés comme avait intention de le faire Pecorelli. Mais en réalité dans la version « intégrale » il n’y a rien de plus compromettant pour Andreotti que dans le résumé.
Dans le dernier numéro de « OP » l’hebdomadaire de Mino Pecorelli, numéro qui n’a jamais vu le jour mais dont on connaît la couverture, le journaliste assassiné allait faire, entre autres, des révélations sur l’argent que le président (Andreotti) aurait perçu en 1976 par Rovelli qui était impliqué dans le scandale Italcasse, un organisme public qui a eu pendant longtemps le rôle de distribuer l’argent public aux partis politiques.
Si on connaît la couverture du journal, on n’a jamais retrouvé les pages intérieures, donc le contenu du dossier que Pecorelli avait consacré à l’homme, qu’il avait l’habitude d’appeler « Il Divo Giulio ».
Ce jour du 20 mars 1979, quelques heures avant d’être assassiné, Mino Pecorelli reçoit la visite de l’avocat Gianfranco Rosini. Ce dernier déclarera qu’en parlant d’Andreotti, Pecorelli lui dit « L’un des grands criminels de l’histoire, je suis en train de préparer un dossier très documenté qui dévoilera qui est vraiment Andreotti et quels crimes il a commis ».
Quelques heures plus tard il sera tué dans sa voiture à quelques pas du journal par quatre balles.
Le procès
En 1993, Tommaso Buscetta accuse officiellement Giulio Andreotti d’avoir commandité le meurtre de Mino Pecorelli.
Le procès démarre le 11 avril 1996 à Pérouse. Dans un premier temps le procès devait se tenir à Rome mais un juge de la capitale étant impliqué dans l’affaire, il y aurait eu conflit.
Le 24 septembre 1999 malgré la demande du procureur de condamner tous les accusés à la perpétuité, ils sont tous acquittés.
Au procès d’appel, le 17 novembre 2002 Andreotti et Badalamenti sont condamnés à 24 ans de prison. Dans les motivations de la sentence, les juges parlent d’Andreotti comme du cerveau de ce meurtre. Et cela pour empêcher la publication de documents confidentiels que Mino Pecorelli aurait reçus par le général Dalla Chiesa et qui concernerait l’enlèvement, la captivité et l’assassinat de Aldo Moro. Et la boucle est bouclée.
Dalla Chiesa justement, parlons-en un peu. Le général Carlo Alberto Dalla Chiesa est muté à Palerme soudainement le 2 mai 1982. Il est nommé préfet de la ville sicilienne pour combattre la mafia avec « les moyens du préfet de Forlì (ville paisible du nord)» comme il écrira dans son journal. Toujours par le même journal on apprend que le général avait écrit le 2 avril 1982 que « le courant de la démocratie-chretienne dont Giulio Andreotti est le chef est le plus pollué par des contaminations mafieuses. » C’était un brouillon de la lettre qu’il a envoyée au président du conseil des ministres de l’époque Giovanni Spadolini. Sans vouloir établir un rapport de cause-effet c’est quand même un détail inquiétant.
Toujours dans son journal, qui est une mine d’informations, Dalla Chiesa écrit encore « j’ai été très clair avec Andreotti, je n’aurais aucun scrupule (aucun égard) pour cette partie de son électorat à laquelle font recours ses grands électeurs »
Le 3 septembre 1982 le général Carlo Alberto Dalla Chiesa, sa compagne et son garde du corps seront victimes d’un attentat meurtrier.
Le 24 novembre 2003, c’est le dernier acte du procès Andreotti. La cour de cassation annule la sentence du procès en appel qui condamnait Andreotti et Badalamenti à 24 ans de prisons. Le délit Pecorelli n’a toujours pas de coupable officiel.