Publié le samedi, 20 décembre 2008 à 18h20
Tragique Figaro
Dans un article titré Tragique Italie, consacré au livre Sortir de la nuit. Une histoire des années de plomb de Mario Calabresi, paru dans le Figaro du 18 décembre 2008, Jacques de Saint-Victor nous livre une interprétation assez osée de l'histoire de l'Italie des années 60/70. Une vision où les victimes deviennent des bourreaux et vice-versa. L'auteur du livre, Mario Calabresi, qui est correspondant à New York pour le quotidien "La Repubblica", est le fils de Luigi Calabresi, un commissaire de police tué en 1972. Au terme d'un procès très contesté, la justice italienne a désigné des membres de Lotta Continua, un groupe d’extrême gauche actif dans les années 70, comme les coupables de cet homicide.
Qu'un fils veuille réhabiliter la mémoire de son père, je trouve cela assez compréhensible mais qu'un journaliste français en profite pour donner sa version berlusconienne de ses années là, c'est inacceptable.
Mais venons aux faits. Au lendemain du massacre de la Piazza Fontana, le 12 décembre 1969, la police décide de s’attaquer aux anarchistes. Pourquoi ? Le journaliste du Figaro ne se pose même pas la question, peut-être que pour lui c’est une évidence. L’histoire, la vraie, nous dévoilera qu’en réalité c’était un massacre fasciste, avec la complicité des services secrets. Bref, le commissaire Calabresi, chargé de l’enquête, arrête plusieurs anarchistes, dont Pietro Valpreda, un danseur, et Giuseppe Pinelli, un cheminot. Le premier sera désigné comme « le monstre », le coupable par la plupart des journaux italiens, en l’absence totale de preuves et en dépit d’un alibi en béton. Il restera en prison pendant trois ans. Pour l’accuser, on a même eu recours à un sosie, le néo-fasciste sicilien Antonino Sottosanti, qui se serait montré dans les environs de la Piazza Fontana. Le témoignage de plusieurs membres de la droite extrémiste ont montré qu’il s’agissait d’une énorme manipulation, un complot pour faire retomber la faute de l’attentat sur le milieu anarchiste. Entre-temps, le 15 décembre 1969, au bout de trois jours d’interrogatoire, alors que les termes de la garde-à-vue étaient expirés depuis longtemps, Giuseppe Pinelli tombe par la fenêtre du bureau du commissaire Calabresi et meurt.
Sur la mort de Pinelli il y a eu plusieurs versions et l’enquête officielle parle d’un malaise. C’est quand même étrange, car, en général, lorsqu’on se sent mal, on tombe par terre et pas par la fenêtre. Et puis pourquoi il se serait senti mal ? Peut-être à cause des trois jours d’interrogatoire (ce qui, je le rappelle, était tout à fait illégal) dans le froid, sans manger grand-chose. Mais bon, tout ça semble n’intéresser guère notre journaliste.
Mais revenons aux faits. La première version donnée par le commissaire Calabresi est le suicide. D’après l’officier de police, Giuseppe Pinelli se serait jeté par la fenêtre suite à un raptus suicidaire. Cette version se révèle tout de suite fausse. Pourquoi donc fournir une fausse version si on n’a rien à cacher ?
L’opinion publique se mobilise pour dénoncer ce crime qui, comme beaucoup d’autres dont celui de la Piazza Fontana, restera impuni. Un innocent balancé par la fenêtre lors d’un interrogatoire ce n’est pas normal dans un état qui se veut de droit. Dans l’hebdomadaire "L’Espresso" du 13 juin 1971, des intellectuels, réalisateurs, écrivains célèbres signent un papier qui désigne clairement le commissaire Calabresi comme le responsable de la mort de Pinelli. Dario Fo, prix Nobel de littérature, consacrera à Pinelli une pièce, Mort accidentelle d’un anarchiste. Mais rien n’y fait, le commissaire continue de faire son boulot tranquillement.
Sur la mort du Commissaire Calabresi, tué le 17 mai 1972, l’issue officielle est aussi très controversée. Les membres de Lotta Continua, Adriano Sofri, Ovidio Bompressi et Giorgio Pietrostefani, sont condamnés en 1995, 23 ans après l’assassinat, sur la base du seul témoignage du repenti Leonardo Marino. Un coup d’œil rapide aux actes du procès permet de remarquer pas mal d’éléments très intéressants. Deux attirent plus particulièrement notre attention : la version de Marino change très souvent, à l’instar de sa situation financière. Avant le procès, il était fauché et plein de dettes tandis qu’après sa « repentance », survenue soudainement 16 ans après les faits, il se retrouve avec un pécule et toutes ses dettes effacées. D’où vient cet argent ? Apparemment, ce n’est pas le genre de questions qui intéressent le Figaro.
Un autre élément troublant : lorsque le commissaire Calabresi a été tué, il n’enquêtait plus du tout sur l’extrême gauche mais sur un trafic d’armes qui voyait des hommes d’état impliqués. Le dossier de cette enquête n’a jamais été retrouvé. Un mystère de plus.
Mais la cerise sur le gâteau de cet article du Figaro est la chute « Lecture à conseiller à tous les défenseurs de Mme Petrella et de M. Battisti. » . Qu’est-ce qu’ils viennent faire là Marina Petrella et Cesare Battisti ? On a l’impression que notre journaliste mélange un peu tout.