Interviews

Publié le lundi, 15 décembre 2008 à 15h16

Entretien avec Agostino Ferrente

Par Stefano Palombari

agostinoferrente.jpgAgostino Ferrente est, entre autres, le réalisateur du film L'Orchestra sorti en France le 3 décembre 2008, sur la création de cet orchestre unique en son genre qui réunit des musiciens du monde entier. Depuis sa naissance, l’Orchestra de la Piazza Vittorio a connu un succès grandissant et s'est produit dans beaucoup de pays notamment aux États-Unis.
J’ai rencontré Agostino Ferrente, lors de son passage à Paris pour la promotion du film et il a accepté de répondre à quelques questions.

Commençons par une question que je me suis posée en regardant le film. Comment avez-vous eu l’idée de filmer quelque chose dont vous ne connaissiez pas le résultat ?

Cette question est un peu la clef du film. Je suis heureux que vous l’ayez posée. Les deux choses sont nées un peu en même temps. Lorsqu’on réalise un film tiré d’une vraie histoire, d’abord l’histoire existe et puis on tourne le film. Dans mon cas le film s’est réalisé en même temps que l’histoire. Donc quand j’ai commencé à tourner, je ne savais pas encore comment se déroulerait l’histoire.

Je venais de m’installer à Rome, dans le quartier. Je savais qu’il y avait ce cinéma qu’on menaçait de transformer en salle de bingo. Ce n’était pas la droite qui voulait se débarrasser de ce genre de cinéma mais c’était bien un projet de la gauche au pouvoir. Donc j’ai créé un comité qui ne s’arrête pas à la protestation mais qui fait des propositions concrètes. L’idée était donc de transformer ce cinéma en une sorte de laboratoire qui prenne en considération les différentes cultures qui peuplent aujourd’hui le quartier. Une expérience nouvelle pour la ville entière. On a impliqué dans le comité plusieurs artistes. C’était la seule façon d’obtenir un peu de visibilité quand on n’a pas d’argent. Parmi ces artistes, il y avait Mario Tronco. Il avait signé les musiques de mon précédent documentaire. Donc je le connaissais déjà et je lui ai parlé de mon projet. Il m’a répondu qu’il avais une idée très proche dans le domaine musical. On a donc passé un accord : je l’aidais à réaliser son projet et il me permettait de filmer tout ce qui se passait. C’est ainsi que sont nés l’orchestre et le film.

Et la caméra n’a pas dérangé ?

Bien au contraire. Le résultat est dû aussi à la présence de la caméra. Et pour différentes raisons. Désormais dans notre société, tout ce qui est accompagné d’une caméra fait plus « sérieux ». En plus nous tournions dans la ville peu après le 11 septembre en demandant à des étrangers s’ils savaient jouer de la musique et s’ils avaient des papiers. On nous prenait tout de suite pour des policiers. C’est pour cela que la caméra finalement nous a aidés.

Comme on le voit dans le film, ça n’a pas été un long fleuve tranquille.

Il y a eu beaucoup de moments de découragement car ni les institutions, ni les maisons de disques, ni les producteurs de cinéma n’y croyaient. Dans le film j’en ai montré quelques uns mais il y en a eu beaucoup plus. Donc très souvent, on a eu envie de laisser tomber. La caméra a joué un rôle positif car derrière elle il y avait un public potentiel et nous imaginions ce public nous soutenir. C’est psychologique. Si on est seul, on se rend mais si derrière toi il y a beaucoup de monde qui t’exhorte à poursuivre alors c’est différent. De toute façon même si finalement ça s’était mal passé, j’aurais réalisé un film qui raconte qu’en Italie il n’est pas possible de réaliser un projet de ce genre.

On vous voit dans le film, c’est voulu ?

En général dans le documentaire ou à chaque fois que l’on filme quelque chose qui s’est réellement passé le réalisateur devient invisible. On doit faire comme s’il n’était pas là. Il est vrai que lorsque le réalisateur est tout le temps là avec sa caméra les gens oublient un peu sa présence. Mais ce n’est pas ma façon de filmer. J’aime bien intervenir dans la réalité, la modifier. De toute façon c’est inévitable : La présence du réalisateur modifie les attitudes des gens. C’est naïf de penser le contraire. Si vous, en rentrant chez vous, vous trouvez un monsieur avec une caméra qui vous filme vous devriez appeler la police. Si vous ne le faites pas vous êtes déjà en train de jouer un rôle. Cependant au bout d’un certain temps, les gens s’habituent à la présence de la caméra et donc deviennent de plus en plus naturels. Parfois il y a des attitudes ou des actions qui échappent à la caméra et alors demander de les répéter ne fausse rien car cette attitude, cette action est bien réelle, a bien eu lieu. Dans la perspective d’un public international le défi était aussi de faire comprendre que pour les Romains il s’agit d’un phénomène nouveau et étrange. J’ai voulu aussi montrer avec une certaine fierté que ce quartier accueille des gens de tous les pays. Ce n’est donc pas un quartier ghetto pour une seule communauté. Un peu comme ce qui se passe dans d’autres pays et aussi en France dans certaines banlieues. Je trouve qu’en France la situation est particulièrement inquiétante. Avec 6 millions de citoyens issus de l’immigration ce n’est que tout récemment qu’on a vu la première personne noire présenter un JT. Pour ne pas parler de la discrimination à l’embauche, des humiliations quotidiennes de la part de la police, qu’ils doivent endurer.

En France, il est illégal d’organiser un recensement sur la base « culturelle ». Un Français est un Français.

C’est une attitude extrêmement hypocrite. Et le résultat est sous les yeux de tout le monde. Pour nous Italiens il est très important de regarder l’exemple français. Si nous pouvons apprendre des erreurs des autres, on évitera pas mal de problèmes. Pour moi ce n’est pas un hasard si beaucoup de distributeurs français ont refusé de distribuer notre film. Dans l’équipe de foot et dans d’autres sports on voit en effet beaucoup de personnes qui ne sont manifestement pas de souche. Mais c’est très facile d’accepter un champion noir, un chanteur noir ou un acteur noir. C’est beaucoup plus difficile avec un plombier, un électricien, un boulanger etc. car l’un des thèmes chauds des dernières campagnes électorales est justement les étrangers volent le travail aux Italiens. Ce qui est totalement faux car ils font en général des boulots que les Italiens ne veulent plus faire. Parmi les régions où le racisme est plus présent il y a la Vénétie. C’est un paradoxe. Ils ont dû vite oublier que jusque dans les années 70, les domestiques des familles un peu partout en Italie, venaient presque toutes de cette région. Dans le quartier de l’Esquilin il y a plusieurs associations racistes. Il y a ceux qui font référence au nazisme de façon explicite mais aussi des groupes de citadins d’un certain âge, victimes de l’ignorance. Ces derniers étaient venus à notre concert à la Piazza Vittorio avec des tomates, des œufs prêts à les balancer sur les musiciens. C’était pour la plupart des femmes. Moi, j’étais en haut pour mieux filmer le concert et je les entendais. Une de ces femmes a dit, laissons-les commencer, avant de lancer les oeufs et les tomates. L’orchestre commence à jouer et les femmes sont bluffées. Finalement elles n’ont rien jeté.



Cette image négative de l’étranger n’est pas la responsabilité uniquement de la droite. Les journalistes de droite font leur métier en exagérant le poids des délits commis par les immigrés. Ca fait partie de leur philosophie. Ceux qui ont, à mon sentiment, la plus lourde responsabilité ce sont les gens de gauche, journalistes et hommes politiques, qui vont dans le même sens, qui jouent sur le même registre. Avec l’orchestre nous avons créé 23 postes de travail sans même pas recevoir un centime de l’Etat ni d’autres organismes publiques. 12 % du PIB italien est créé par le travail des étrangers. Dino Frisullo disait que « si les immigrés faisaient grève, l’Italie se fermerait ».

Mais l’orchestra n’est pas un film politique…

Non. Ce n’est pas du tout un film politique dans un sens technique du terme. L’orchestra est un film sur une très belle aventure humaine. Ce n’est pas non plus un film politiquement correct . Nous n’avons pas tellement choisi les instruments sur la base des musiciens mais le contraire. Nous n’avons sélectionné que les meilleurs musiciens et nos concerts sont toujours un succès.