Publié le dimanche, 21 septembre 2008 à 10h50
L'Amérique de Pavese, un rêve fatal
Dès son plus jeune âge, Cesare Pavese est fasciné par l'Amérique. Pour lui elle est une sorte de réalité chimérique, il en rêve, il la frôle par le biais de ses auteurs mais il ne la touche jamais. Son rapport à ce pays est toujours " à travers ", jamais direct à cause aussi de son caractère et de ses difficultés à agir.
Le goût de l'Amérique naît fort probablement en lui par contraste, par " contraposition ". L'Amérique, du moins l'image idéalisée qu'on en avait, était un peu l'antithèse de l'Italie de l'époque. C'était un pays qui rimait avec liberté d'expression, tolérance, curiosité, expérimentations, possibilités… L'Italie fasciste était au contraire complètement repliée sur elle-même, braquée sur son passé, réfractaire à toute nouveauté et changement.
Le milieu littéraire était lui aussi très fermé. On y cultivait les belles lettres dans un endroit fermé, suffocant où elles se nourrissaient d'elles-mêmes au lieu de se ressourcer dans la vraie vie, celle de dehors, celle du travail, du peuple.
Augusto Monti, son professeur d'italien et de latin au Lycée Massimo D'Azeglio de Turin a eu sur lui une influence fondamentale. Écrivain antifasciste, il a eu parmi ses élèves une extraordinaire génération d'intellectuels, entre autres, Massimo Mila, Giulio Einaudi, Leone Ginzburg, Salvatore Luna, Giancarlo Pajetta, Franco Antonicelli, Vittorio Foa, Tullio Pinelli.
Cesare Pavese s'inscrit à la fac de lettres où il écrit sa thèse sur L'interprétation de la poésie de Walt Whitman. Puis il commence à travailler en tant que traducteur et essayiste. Parmi les différents auteurs dont il côtoie les écrits, certains ont joué un rôle non seulement dans la formation de l'écrivain (comme c'est le cas de Par chez nous), mais aussi dans sa perception de la vie.
Très intéressant à ce propos est la rencontre avec les premiers écrits de Peter Matthiessen, qui écrira ses romans les plus connus après la mort de Pavese. Les deux auteurs ont une sensibilité extrêmement proche, le rapport à la nature, la recherche dans le domaine du langage mais aussi la " prise en compte " de ce geste tragique, ultime face à l'absence de sens de la vie, à son inutilité. Paradoxalement, dans ce cas là, Pavese passera à l'acte tandis que Matthiessen est encore vivant.
Le rapport entre l'Amérique et le thème de la mort en Pavese est très étroit, et ne s'arrête pas à la littérature. Ca devient une sorte d'obsession pour Pavese, une obsession polymorphe. Elle prend, entre autres, les formes d'une sirène, la jeune et belle actrice Constance Dowling, sœur de Doris qui avait joué dans Riz amer. Cesare Pavese la rencontre à Rome vers la fin de l'année 1949, il en tombe éperdument amoureux. Leur histoire dure environ six mois et après la belle aux tâches de rousseur reprend le chemin de l'Amérique pour faire carrière à Hollywood.
Cet amour lui donne l'inspiration pour des vers magnifiques en italien et en anglais, dont le très célèbre " Verrà la morte et avrà i tuoi occhi " (La mort viendra et elle aura tes yeux), qui donne le titre au recueil de poèmes qu'on retrouvera à côté de son corps dans cette chambre d'hôtel où il se suicide le 27 août 1950 en avalant des somnifères. Pavese écrit ces vers en un seul mois. Il s'agit de dix poèmes, huit en italien et deux en anglais, le premier, daté du 11 mars 1950, et le dernier, du 11 avril 1950 qui se termine ainsi :
Some one has died
Long time ago -
Some one who tried
But didn't know.
(Quelqu'un est mort
Il y a longtemps -
Quelqu'un qui essaya
mais ne sut pas.)