Politique et économie

Publié le jeudi, 3 juillet 2008 à 18h21

Mafia et patrimoine – A l’ombre des Casalesi

Par Aude Colonna

Caserta.jpgIl y a quelques semaines, la nouvelle a fait la une des journaux italiens. La Cour d’assises de Naples, dans la cadre du procès baptisé « Spartacus », a condamné en appel à perpétuité 16 chefs mafieux de la famille Casalesi. En 2005, 95 personnes de ce même clan avaient déjà été condamnées à de lourdes peines de prison, dont 21 à perpétuité. Cette dernière victoire contre les Casalesi ne s’est pas faite sans heurts : 5 repentis ont été assassinés à l’approche de la sentence. Pendant ce temps-là, les biens des membres du clan mis en examen ont été saisis.

Un « Etat dans l’Etat »

Les activités du clan Casalesi (issu de la province de Caserte en Campanie) constituent la trame de Gomorra, le roman de l’écrivain Roberto Saviano. Ce dernier, satisfait par le verdict, a cependant souligné la nécessité de ne pas baisser la garde contre la Camorra. Il a notamment insisté sur le fait que la criminalité concernée dans ce procès ne se limite pas au Sud de l’Italie mais touche aussi « un monde entrepreneurial extrêmement puissant qui concerne aussi le Nord (1)».

La capacité des Casalesi « à contrôler l’économie » a aussi été relevée dans un interview au Corriere della Sera par Raffaele Cantone, magistrat, en charge du procès contre les Casalesi jusqu’en octobre 2007. Il a en outre qualifié la Camorra, en particulier celle de Caserta, d’être « un Etat dans l’Etat » compte-tenu de son rôle, plus ou moins légal, d’intermédiation sociale et de protection des citoyens (2).

Un poids économique important

En août 1997, le Tribunal de Santa Maria de Capua Vetere avait déjà confisqué plusieurs milions d’euros au clan Casalesi au titre desquels figuraient de nombreuses sociétés. Cette saisie n’a pas affaibli leur pouvoir, leur argent étant depuis longtemps placé un peu partout en Italie et dans le monde au sein de l’hôtellerie, de l’immobilier, des transports, du traitement des déchets ou de la Bourse.

L’activité des Casalesi atteindrait aujourd’hui les 30 milliards d’euros en Italie et au-delà de ses frontières.

D’une manière générale, que deviennent les biens confisqués du crime organisé?

Ils sont pris en charge par l’Etat. Personne n’a jamais été capable de calculer précisément le montant des biens de la mafia mais le chiffre approximatif de 1.000 milliards d’euros a été avancé par des experts tels qu’Antonio Laudati, Directeur Général de la Justice Pénale. Ce chiffre place la mafia en n°1 des entreprises puissantes en Italie. Il semble que si cette somme entrait dans les Caisses du Trésor Public italien le déficit public s’abaisserait de 104%.

En réalité, il se passe exactement le contraire et c’est là que réside le paradoxe : les formalités administratives, les procédures judiciaires, la gestion des biens immobiliers et des sociétés confisquées ont un coût. Par conséquent au lieu de gagner de l’argent sur ces saisies, l’Etat italien en dépense. Il va ainsi débourser 91 millions d’euros dans les 5 ans à venir pour réintégrer des biens confisqués dans un circuit légal.

En outre, pendant que les procédures suivent leur cours, les biens se dégradent et perdent de leur valeur. Ainsi moins de la moitié des biens actuellement séquestrés sont « recyclés ». Antonio Maruccia, Commissaire extraordinaire du Gouvernement italien pour la gestion et la destination des biens confisqués à des organisations criminelles, précise que « en plus de dix ans, sur plus de 900 entreprises confisquées celles encore opérationnelles et en bonne santé sont à peine 27 » (3) .

Mystère donc de ce qu’il adviendra du patrimoine Casalesi…

''NB : Raffaele Cantone a été, avec l’écrivain Saviano et la journaliste Rosaria Capacchione publiquement menacé par des camoristes pendant une audience du procès Spartacus. Aujourd’hui Raffaele Cantone ne s’occupe plus de Camorra…

Le 1er juillet 2008, 27 autres personnes liées au clan Casalesi ont été arrêtées.

Actuellement, les entreprises du crime organisé confisquées en Campanie sont au nombre de 200, contre 146 en Lombardie et 373 en Sicile (4).

Note: (1) www.panorama.it – jeudi 19 juin - "Processo ai Casalesi: ergastoli confermati ai boss di Gomorra" - Emanuele Rossi (2) Corriere della Sera Magazine – jeudi 3 juillet – pp.60-65 – "Gomorra L'ho cominciata io'' - Vittorio Zincone (3) Voir l’article de Sergio Rizzo – "Ma quanto ci costano i beni della mafia" - Corriere della Sera Magazine – jeudi 3 juillet – pp.52/54 (4) Ibid.