Publié le vendredi, 11 avril 2008 à 15h57
Téléspectateurs en grève
La TV tue la vie. Dit ainsi c'est un peu brutal mais pas totalement faux. En Italie, plus que dans n'importe quel autre pays européen cet objet luminescent a conquis progressivement du terrain au point que dans un bon nombre de foyer il demeure constamment allumé.
Les soirées de la plupart des familles italiennes se limitent à des regards parallèles, qui ne se croisent que très rarement, et à des bouches cousues. Les yeux rivés, braqués sur des émissions pas toujours très passionnantes mais qui occupent, le plus souvent, le seul temps commun d'un foyer.
C’est connu, en Italie il fait souvent beau et doux et les soirées pourraient être l’occasion de promenades en famille ou avec des amis, à la découverte de coins magiques et inexplorés. En été, après des journées torrides, les soirées sont les seuls moments où on pourrait sortir se promener… L’hiver, lorsque le froid inhibe les sorties, on pourrait découvrir des activités en famille : lire des histoires aux enfants, lorsqu’ils sont petits, des jeux de société lorsqu’ils sont plus grands, écouter de la musique… Sinon, on pourrait aller au théâtre ou au cinoche, voir un opéra ou un concert…
C’est dans ce but que l’association culturelle « Esterni », qui organise entre autres le festival international du cinéma « Milano film festival », a lancé voilà treize ans la première grève des téléspectateurs. Et chaque année, au printemps, une nouvelle « mobilisation » est lancée avec le soutien de personnalités du monde culturel.
Et il y a urgence car chaque année en Italie le nombre d’heures passées devant la télé augmente et celui consacré à la lecture de livres, mais aussi de journaux, magazines, revues, etc. diminue constamment. Les expos, les musées, les cinémas, les sales de concerts, sauf pour les événements les plus retentissants, sont désertés. C’est pour cette raison que cette année la manifestation a eu le soutien entre autres, du ministère de la culture, et de différents organismes comme la Biennale de Venise, la mairie de Florence, de salles de cinéma, de théâtres, de musées… dans toute l’Italie. Le 27 mars 2008 tous ceux qui se présentaient à la caisse munis de télécommande pouvaient entrer gratuitement.
Tout récemment, dans une interview au journal espagnol « El País », le photographe Oliviero Toscani dressait un portrait impitoyable et sans appel de l’Italie d’aujourd’hui : « Il n'est pas possible de refonder le pays, parce que la décadence n'est pas économique, elle est morale et elle est retransmise à toutes heures à la télévision. Nous avons été vaincus par la vulgarité. Nous mourrons élégants, habillés à la dernière mode, vulgaires, vides et abrutis. »
Il est évident que la lutte contre l’endormissement télévisuel ne fait pas que des heureux. Vittorio Sgarbi, l’adjoint au maire en charge de la culture à la mairie de Milan, qui animait une populaire émission sur les chaînes de Berlusconi, a pris officiellement les distances de cette "grève".
Il y a un petit air de déjà lu : « cet appareil (que l’on appelait écran) on pouvait le baisser mais jamais l’annuler complètement ». Exagéré ? Espérons.