Publié le mercredi, 23 janvier 2008 à 09h49
Les déchets et la pierre philosophale
"On a découvert dans les environs de Giugliano une carrière désaffectée entièrement remplie d'ordures, dont le volume équivalait à environ vingt-huit mille camions pleins. Soit une file continue de véhicules de Caserte à Milan, pare-choc contre pare-choc." Cet extrait de Gomorra de Roberto Saviano peut donner un aperçu de la gravité de la situation. Et depuis les choses n'ont fait qu'empirer.
Après des années et des années durant lesquelles les déchets industriels de toute l'Italie ainsi que d'autres pays, en majorité européens, ont conflué sur Naples, il faudra au moins autant de temps pour que le parcours inverse puisse permettre à cette zone de la Campanie de sortir de l'émergence.
Mais comment en est-on arrivé là ? Nul n’ignore que cette partie de la Campanie est un territoire contrôlé par la camorra, la mafia napolitaine, (pour tout ce qui concerne la camorra je vous renvoie à l’excellent livre de Roberto Saviano, voir lien ci-dessus). La camorra n’est intéressée qu’à faire de l’argent et elle est donc parvenue à transformer les ordures en or. Le marché des déchets s’est révélé tout de suite très juteux. « Les clans et leurs intermédiaires ont encaissé quarante-quatre milliards d’euros en quatre ans », dénonce Saviano. Des industriels sans scrupules du nord de l’Italie, ainsi que certains de leurs collègues européens, au lieu de faire appel à des sociétés spécialisées dans le traitement des déchets toxiques, ce qui était prévu par la loi, ont donc décidé de faire des économies, une logique entrepreneuriale imparable. Les camions de la camorra sont arrivés et ont fait le sale boulot pour dix fois moins cher. Seulement que les déchets n’étaient nullement traités mais abandonnés dans la nature, ou enterrés maladroitement, dans les champs entre Acerra, Nola et Marigliano. Cette zone est aussi appelée le « triangle de la mort » car on y enregistre le taux de cancers le plus haut d’Europe, sans compter les cas de malformations néonatales qui ont progressé de 84 %. Il s’agit là de terres où il y a trente ans poussaient de bonnes tomates et d’autres légumes dont la Campanie était très fière. Maintenant c’est un territoire fantôme où tout ce qui y est cultivé présente un taux de dioxine 300 fois supérieur à la moyenne.
Si le centre de Naples est assez épargné par l’émergence, même si la vague d’annulation de la part des touristes se poursuit, la banlieue est lourdement touchée. Et la solution n’est pas proche. La plupart des décharges existantes ont été fermées pour cause d’infiltration de la camorra mais surtout pour des raisons sanitaires. Les autorités craignent pour la santé de la population locale vue la présence de déchets hautement toxiques. La décision de réouvrir la décharge de Pianura, fermée depuis treize ans à cause de produits toxiques qui s’y trouvent, a fait monter la tension et la population est descendue dans la rue pour empêcher cette réouverture.
Pour palier au problème, des camions et des navires amènent des tonnes d’immondices napolitaines vers d’autres régions d’Italie (en particulier Sicile et Sardaigne). Si la confluence des déchets dans Naples et sa région a été une bonne affaire pour certains, le parcours inverse risque de l’être pour d’autres. Un appel d’offre a été lancé pour la gestion des déchets napolitains et plusieurs entreprises ont participé, parmi lesquelles le français Veolia environnement, qui a déjà mis la main sur la gestion de l’eau de certaines villes du Latium, qui ont vu leur facture s’alourdir de 300 %. De l’émergence déchets à l’émergence Veolia. Voilà qu’un article de l’édition napolitaine du quotidien la Repubblica dénonce la main mise des intérêts financiers, et en particulier de Veolia environnement, pour exploiter la situation, s’approprier, dans un premier temps, la gestion des déchets pour après contrôler aussi l’eau de Naples. Décidément c’est bien facile de transformer en or des ordures.