Politique et économie

Publié le mardi, 1 janvier 2008 à 09h30

L'autre réalité italienne

Par Paul Le Fèvre

Giuseppe GaribaldiIl est habituel d’évoquer l’Italie en terme de divisions et de particularismes locaux.

L’Italie serait d’abord irrémédiablement divisée par l’opposition entre un Nord prospère et un Sud désespérant.

L’Italie ne serait ensuite qu’une addition de spécificités régionales.

Ces deux approches sont présentées comme des données invariables de la réalité italienne.

Je parlerai ici d’une autre réalité italienne, celle de l’unité et de la solidarité nationale.

Et pour en parler, rien de tel que d’évoquer la péninsule du temps où l’Italie n’existait pas.

L’Italie du 19ème siècle se composait de nombreux Etats autocratiques : les Royaumes de Piémont-Sardaigne et de Lombardie-Venitie au Nord ; le Grand Duché de Toscane, le Duché de Parme, le Duché de Modène et les Etats de l’Eglise au Centre ; le Royaume des Deux-Siciles au Sud.

Ce temps-là est parfois abordé avec nostalgie.

Certains se disent au fond que ces entités étaient plus proches des populations locales, davantage ancrées dans les cultures régionales, bref plus légitimes et réelles que cet artificiel Etat italien.

Se faisant, un point crucial est oublié : ces Royaumes et autres Duchés étaient basés sur des règles d’organisation féodales.

Y régnaient les principes suivants : division organique de la société en ordre, inégalité civile, pouvoir à disposition d’une infime minorité de la population, absence de libertés publiques, dépendance à l’égard du Pape ou de l’Empire autrichien.

L'Italie était une somme d’entités despotiques en leur sein bien qu'impuissantes au dehors.

Car la botte ainsi éclatée fut pendant longtemps, et bien avant le 19ème siècle, le terrain de jeu préféré du Saint-Empire Romain Germanique, du Pape, des Rois et Empereurs de France, d’Espagne puis d’Autriche.

Toutes ces puissances étrangères profitèrent des fiertés de clochers des Etats d'Italie pour soumettre la botte à leurs lois.

Pourtant, à partir de cette constellation d’archaïsmes, les italiens sont parvenus à créer une nation, à unir un peuple.

Deux vecteurs ont été utilisés pour parvenir à cette fin : l'Unité d'abord, la République ensuite.

C’est en premier lieu par l’unité territoriale que l’Italie a découvert l’indépendance politique et la modernisation industrielle (1860 – 1945).

Et rappelons à ceux qui dénigrent le Mezzogiorno qu’en plus d’y abriter l’un des plus importants cœurs culturel et historique de l’Europe, c’est de ce Mezzogiorno que Garibaldi et ses mille ont déclenché l’étincelle unitaire.

C’est en second lieu par la République que l’Italie a bénéficié des libertés démocratiques et sociales à partir de 1945.

En effet, après la seconde guerre mondiale, la République remplace la monarchie qui s’était compromise dans le fascisme à seule fin d’assurer sa survie dynastique.

Cette 1ère République italienne naît et permet quelques décennies plus tard, de dresser un bilan globalement positif, pourvu que ce pays soit jugé en rapport à une évolution historique, évolution qui, redisons-le, est partie d’un point très bas, au lendemain du congrès de Vienne de 1815.

Culturellement, les italiens sont parvenus à s’accorder sur une langue commune, ce qui est peut-être leur plus belle réussite collective. Pensons qu’en 1861, 95% des italiens ne parlaient que leur propre dialecte et ignoraient la langue que nous appelons aujourd’hui l’italien, originellement le toscan.

Dans les années 1950, à peine plus de 10% de la population maîtrisait l’italien, 50% des italiens n’étaient titulaires d’aucun diplôme et beaucoup n’étaient pas même alphabétisés.

Aujourd’hui, les italiens connaissent la langue italienne dans leur très grande majorité.

Le niveau d’alphabétisation et de scolarisation est désormais proche des autres pays européens.

Economiquement, l’Italie se place dans les pays les plus développés au monde, à tel point qu’elle se trouve confrontée aujourd’hui à un phénomène nouveau pour elle, qui dit tout de sa réussite même si ce phénomène est présenté comme un « problème » : l’immigration. Socialement, la République italienne est parvenue à coupler développement économique et établissement d’un Etat-providence moderne. A l’heure où des pays européens se déchirent en luttes régionalistes d’un autre âge (je pense notamment à la Belgique), je forme de tout cœur le vœu, en cette période de fin d'année et d'inauguration de ce site sur l'Italie, que les italiens ne suivent pas cette pente.

J’espère qu’ils ne seront pas trompés par la « solution » fédéraliste qui ne serait qu’une régression politique terrible.

Alors que l’Europe poursuit son union, les Etats qui la composent doivent au contraire plus que jamais garantir cohésion et solidarité nationale en leur sein.

Un continent européen composé de nations disloquées ne deviendrait qu’un vaste champ en friches où toute capacité d’action collective serait balayée par les égoïsmes et la course (la fuite ?) au marché roi.

D’un point de vue historique, la coexistence entre un processus d’intégration continentale et un processus de désintégration nationale relèverait alors de l’absurdité totale.

L’Italie, en tant que jeune nation, est particulièrement exposée à un risque d’éclatement.

Pour l’affermir, il est nécessaire, parfois, de ne pas pointer que ses errements.

Rappelons qu'il a déjà existé une "Italie des régions" il y a quelques temps et que cet état de fait, qui permit toutes les soumissions et les archaïsmes, a été aboli par les italiens, au prix de luttes et de morts.

Refusons que les principes d'organisation de cette époque révolue soit aujourd'hui présentés comme un remède moderne aux difficultés italiennes.

Ces difficultés sont dérisoires au regard des immenses progrès que la double évolution Unité – République a apporté à l'Italie.

C’est par elle, par l'approfondissement de ses caractères plutôt que par leur négation, que l’Italie tiendra et poursuivra sa marche.

Plf