Interviews

Publié le dimanche, 4 avril 2010 à 14h00

Claudio Baglioni

Par Karima Romdane

Claudio BaglioniUn solo Mondo, One world 2010, le titre de la tournée mondiale de Claudio Baglioni qui a débuté aux Etats-Unis, le 6 mars à l’Arena Taj Mahal à Atlantic City (New Jersey), puis à Mashantucket (Connecticut), Montréal et Toronto au Canada. Cette tournée se poursuivra sur les scènes les plus prestigieuses en Europe dès le 22 avril en Hollande, le 24 à Bruxelles et sera à Paris le dimanche 25 avril pour un concert unique sur la scène de l’Olympia avant de continuer vers l'Allemagne, Zurich, Barcelone, Madrid, Londres…

Un solo mondo, une nouvelle tournée qui se déroule dans plusieurs pays, le rapport avec le public est différent à l'étranger ?

Le rapport avec le public est différent chaque soir. Ça serait ennuyeux autrement. Une grande partie du charme de cet étrange métier réside vraiment dans cet aspect. Rencontrer ainsi beaucoup de gens, se trouver au centre de leur attention, de leur affection, de leurs pensées, est un privilège rare. Je crois qu'il y a seulement une manière pour le mériter : se mettre en jeu, à chaque fois et jusqu’au bout. En donnant tout, sans rien retenir ou cacher. À l'étranger, l'échange mystérieux de cette correspondance d'émotions entre la scène et le public s'enrichit d'une teinte plus forte de surprise et du fait que quand tu te lances d'un trapèze à l'autre tu le fais sans filet. C’est émouvant de penser que les yeux qui te suivent viennent de si loin. C'est comme jouer loin de chez soi et découvrir que le public t'encourage. Une double émotion.

Comment et quand est née, votre passion pour la musique ?

Je ne saurais pas dire. C'est la musique qui choisit. Elle appelle de loin. Elle s'insinue lentement, à voix basse. Jusqu'à que nous lui répondons. Au début, c’est une curiosité. Nous tâchons de comprendre d'où elle vient et quelle est la "voix" qui est en train de nous appeler. Puis, peu à peu, la passion prend forme et t’enlève. A la fin, comme pour un grand amour, tu découvres que tu ne peux rien faire. La musique et moi, nous sommes ensemble depuis quarante ans. Si - après tout ce que nous avons passé - nous sommes encore ici, alors ça veut justement dire que nous sommes faits l'un pour l'autre.

Comment naît l'inspiration pour un texte ou pour un passage musical ?

D'habitude, tu es averti par quelque chose dans l'air. Aussi impalpable que présente. Quelque chose qui émeut. Dans le sens ample et profond du terme, évidemment. N’importe quelle forme : un mot, une phrase, une image, une couleur, une rencontre, un regard, un geste, une place, une nouvelle... Tu sens une impression qui s’installe à l’intérieur de toi, elle peut rester là des jours, des semaines, parfois des mois. Peu à peu, tu t'aperçois, que, là où elle s'est posée, s’est développée une série de notes. Au début, quelques notes, puis une brève phrase. Certaines, passent, furtives, et ne s'arrêtent pas. D’autres, par contre ne te lâchent pas. Elles commencent à te tourner autour, ne te laissent en paix que si tu te décides à te mettre au piano ou à prendre la guitare. Et là, commence l'enchantement pour s’accorder avec le paradis où résident les notes, pour transcrire les signaux qu’il t'envoie. C'est la partie "facile", au moins pour moi. Puis de l'enchantement de la mélodie, on passe à l'enfer du texte. L'italien est une très belle langue, mais presque impossible de la mettre dignement en musique. Elle a une structure qui concède peu ou rien. Conjuguer rimes, accents, cadences, sons et sens est une véritable entreprise. Mais si tu réussis à trouver un point d'équilibre entre les flots des notes et les rochers des mots, il y a alors le risque que la tempête de la chanson soit si forte que tu ne réussis plus à en détacher les yeux. Avec l'espoir qui cette fascination séduise aussi ceux qui se trouvent dans les environs...

Quels sont les points de référence dans votre style ?

Au début, surtout, la chanson française d'auteurs comme Brassens et Brel en particulier, parmi les principaux inspirateurs de l’ école gênoise des auteurs de chansons à texte (De André, Tenco, Bindi, Paoli...), peut-être la souche de la voie italienne à la chanson d'auteur. Et puis le songwriting américain: Bob Dylan, Paul Simon, James Taylor... Ensuite les auteurs du grand pop : Lennon-McCartney, Elton John, Billy Joel, mais la liste est vraiment longue et nous sommes ici seulement au "big-bang"... Le regard s'est peu à peu, élargi à une certaine musique classique, au standard jazz, à la grande chanson napolitaine, à la bossa nova d'auteurs extraordinaires comme Jobim, Vinicius de Moraes ou Joao Gilbert... Jusqu'à ce que tu commences à découvrir que la musique se divise en deux grandes familles: la belle musique et la mauvaise. Et tu cherches (même si tu ne réussis pas toujours) à fréquenter le plus possible la belle. Avec la conscience que celui qui sème la beauté, recueille la beauté et dans l'espoir d'offrir des fruits du moins dignes de la semence que la grande musique a lâché à l’intérieur de chacun.

Quand vous n'êtes pas en train de chanter ou d'écrire des chansons, qu’est-ce que vous aimez faire ?

J'aime le cinéma. Son esthétique, son langage, l'épique d'une certaine façon de raconter, les émotions qu’il offre, les pensées qu’il suscite. Mais je regarde aussi la télévision. Surtout les programmes d’information et d’approfondissement. Quand je le peux, je lis. D'habitude durant les tournées, pendant les déplacements entre une date et l'autre. Les images de la littérature sont souvent encore plus fortes que celles du cinéma. Parce que le monde des mots peut être plus vaste, plus profond et plus surprenant que celui des images. Et puis, il y a aussi la mer qui peut être tout ça et plus encore.

Le projet QPGA, commencé en 2009 incluait une tournée, un livre, un film et culmine maintenant avec la publication d'un disque qui contient 52 morceaux et la collaboration de 70 artistes italiens parmi les 'big italiens', pourquoi ce choix et comment est née cette collaboration ?

Je crois qu’à l’origine c’était le besoin de fêter la naissance d'un album qui a failli ne jamais voir la lumière. Je suis ému à l’idée d’avoir été entouré d’autant d'amis. Ces interventions n’ont pas été fortuites. Pour chaque rencontre, chaque passage il a eu un motif, un fait, un lien, une association d'idées, une harmonie de sensibilité. Mais ce n'est pas un album de duos. Ce sont des petites participations. Très petites parfois. Même si elles sont très significatives. Graffiti, empreintes, signatures…. Il en découle une œuvre entre rock, pop, jazz et classique, du point de vue des arrangements et des sonorités. Un double album qui s’est agrandi le long du trajet, alimenté par les mots du roman, des images du film, de l'énergie des concerts. Quelque chose de résolument en dehors de l'ordinaire. Hors standard. Hors mesure. Hors série. Hors tradition. Un disque avait été l'inspirateur de tout ce travail et un disque l'a conclu, peut-être pour ne jamais oublier que ce qui a été, ne se perd pas et que le passé est le sel qui fond pour donner goût à notre avenir.

Comment votre intérêt pour le problème de l'immigration clandestine a commencé et comment est née l’idée de la fondation O'Scià ?

Plus ou moins il y a huit ans, quelques amis, en connaissant ma passion pour la mer, m'ont emmené à Lampedusa. Un vrai bijou dans le cœur de la Méditerranée. Peu d’endroits au monde peuvent se vanter d’une mer pareille. Elle te coupe vraiment le souffle. Là, je l’ai vu dans les yeux, le drame de l'immigration. L'impact a été ravageur. J'ai compris que je ne pouvais pas détourner les yeux. Je devais faire quelque chose à travers ce que je sais faire, à savoir jouer de la musique. j'ai décidé d’en faire de manière à ce que les autres ne regardent plus de l'autre côté.
La première année, j'étais seul sur la plage de Guitgia avec un piano et une guitare. La deuxième année, quelques amis ont décidé d'unir leur voix à la mienne. Et peu à peu, O'scià est devenue la plus grande manifestation musicale à fond social, non seulement Italienne mais européenne. En huit ans, plus de deux-cents artistes, italiens et internationaux, ont partagé notre appel et nous ont aidés à promouvoir, devant les institutions, les forces politiques, les médias et l’opinion publique, la valeur de l'intégration entre les cultures. Une voie obligée, si on veut favoriser la rencontre et conjurer la collision entre les civilisations et veiller à construire un avenir digne de ce nom pour l'Europe et les peuples qui arrivent sur le bassin de la Méditerranée.

Ya-t-il de nouveaux terrains que vous aimerez explorer ?

L'écriture, avant tout. Écrire un roman a été une expérience extraordinaire. Surtout pour le fait de pouvoir enfin enlever aux mots la métrique et la rime et les laisser libres de respirer et de planer. C’était une fatigue merveilleuse, que je suis tenté de répéter au plus tôt. Et, puis, le théâtre. J'ai à l’esprit depuis longtemps un monologue étrange sur un sujet-symbole de notre société. C’est une intuition encore au niveau embryonnaire et je ne peux, donc, rien anticiper. Ce que je peux dire, c’est que ça concerne une réalité extrêmement populaire, de grand impact émotif et de grande force évocatrice. Quelque chose qui passionne d'une façon ou d'une autre, et qui nous conditionne tous et qu’au-delà de représenter une métaphore heureuse de la condition humaine, c'est une constante de notre histoire récente aussi. Qui sait...

Quel rapport avez-vous avec la France ?

Splendide ! À part, la chanson d'auteur, j’aime beaucoup le cinéma français. Atmosphères aussi subtiles qu’intenses, pas de rhétorique ni d’autosatisfaction redondante, des dialogues absolument parfaits. Que ce soit dans la comédie que dans le drame. Fantastique ! Et, naturellement, j’aime Paris. Un amour vrai, pas de circonstance. Et de long cours. C’est dans la Ville Lumière, en effet, que j'ai réalisé, avec Vangelis, l'album « E tu » en 1974. Pour ensuite revenir, quatre ans après, au Château d’Hérouville (Val-d'Oise), où j'ai gravé « E tu come stai ? ». Et, toujours à Paris, ont été réalisées quelques bases de l’album Oltre, avec des musiciens du calibre de Richard Galliano, Manu Katché et Didier Lockwood. Une passion ancienne, donc, qui m'a amené à tourner dans la capitale française une bonne partie du roman QPGA. Ce n’est pas un hasard, qu’Andrea, le protagoniste a son refuge à la Place des Vosges, son studio à La Défense et fait une des rencontres fondamentales de sa vie à quelques pas de Notre-Dame, dans la librairie Shakespeare & Co... Plus que ça !

Un message pour le public français ?

Ce qui m’a inspiré cette tournée de concerts autour du monde, comme l’écrivait Sénèque, " la terre est un seul pays : nous sommes des vagues de la même mer, des feuilles du même arbre, des fleurs du même jardin." Et je crois que nous sommes aussi, des notes d'une seule extraordinaire symphonie, celle de partager un voyage - la vie - que personne n'est, ni sera jamais, équipé pour l’affronter tout seul. Un voyage qui, surtout parce que le nôtre est un seul monde, nous sommes appelés à le faire ensemble. Eh bien : seulement ensemble nous pouvons éviter que cela devienne un monde seul.