Culture

Publié le dimanche, 11 avril 2010 à 22h39

Le MAO de Turin et sa première expo

Par Francesca Melle

Le MAO de TurinSans doute le rapprochement phonétique avec Mao Zedong n’est-il pas dû au hasard: les fondateurs du jeune Musée d’Arts Orientaux de Turin, né il y a un an et demi, ont choisi pour l'identifier le sigle MAO: un mot court qui rappelle tout de suite la Chine et par extension l’Asie, l’Orient et ses multiples cultures, civilisations et charmes.

Une institution muséographique qui manquait dans le panorama culturel de la ville, puisqu'il s'agit d'une fondation indépendante : en effet, des collections d’art oriental existaient déjà, mais situées dans le Musée municipal d’Art Ancien (Museo Civico d’Arte Antica, Palazzo Madama). Néanmoins, Turin n’était pas dépourvue de rapports avec l’Extrême-Orient, il suffit de penser à la grande tradition d’études orientales de l’université (en particulier dans le domaine de l’indologie), ainsi qu'à l'intérêt pour ce monde lointain. On a dû toutefois attendre 2008 pour avoir un espace muséographique spécifiquement dédié à l’art des principales régions asiatiques.

La mairie de Turin a mis à disposition le Palazzo Mazzonis, un édifice dont elle est propriétaire, situé dans une rue étroite du centre historique, près de la seule église gothique de la ville. Il s’agit d’un hôtel particulier remanié, du XVIIe siècle, qui a appartenu à plusieurs familles de la noblesse urbaine. En 1870 la propriété passe à la famille Mazzonis - ce qui explique son nom actuel - pour être ensuite vendue à la municipalité de Turin en 1980. Deux ans après, le palais Mazzonis fut restauré et destiné à accueillir les bureaux du Tribunal de Turin avant leur déménagement définitif dans le nouveau Palais de Justice en 2001.

L’inauguration du musée a eu lieu le 5 décembre 2008. Il est composé de cinq départements, répartis sur les quatre étages du bâtiment : ils sont consacrés respectivement à l’Asie du Sud, à la Chine, au Japon, aux régions de l’Himalaya et aux pays islamiques.
La section de l’Asie du Sud, au rez-de-chaussée, présente l’art du Gandhara (région entre les actuels Afghanistan et Pakistan), de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est (notamment Thaïlande, Birmanie et Cambodge) ; il s'agit surtout de sculptures. Au premier étage, sont exposés l’art chinois (de la vaisselle du Néolithique aux bronzes, laques et terres cuites des siècles suivants, jusqu’à 900 ap. J.-C.) et la première partie du Japon, qui se poursuit au deuxième étage (en exposition surtout des statues en bois, des peintures et des paravents, couvrant une période allant du XIIe au XVIIe siècle). Le troisième étage est consacré à l’art bouddhique du Tibet (sculptures, instruments rituels, couvertures artistiques en bois d'ouvrages religieux), tandis que le quatrième abrite les œuvres de plusieurs pays arabes et de l’Empire ottoman (vaisselle, céramiques aux motifs d’arabesques et calligraphiques, bronzes, manuscrits, velours ottomans).

C’est dans ce cadre que le musée a organisé “L’Inde des Rājpūt”, sa première exposition temporaire, consacrée aux miniatures indiennes appartenant à la collection Ducrot. Il s’agit de peintures en détrempe sur papier qui proviennent principalement de l’Inde centrale et des régions pré-himalayennes. Elles datent d'une période allant du XIIe au XIXe siècle et concernent les royaumes des princes Rājpūt (du sanskrit, “fils de roi”). Ces clans arrivés en Inde de l’Asie centrale aux Ve-VIe siècles, constituèrent des principautés s’opposant aux envahisseurs musulmans qui avaient commencé leur conquête à partir du XIIe siècle.

À l’entrée de l’expo, au rez-de-chaussée du musée, on est accueillis par trois grandes reproductions en polystyrène, un éléphant, des figures féminines, et enfin une carte de l’Inde indiquant les régions concernées.
La collection Ducrot comprend 250 œuvres environ, dont 150 sont exposées, réparties en deux salles selon les différentes écoles de peinture et leur provenance. Ainsi, on peut observer une dizaine d'écoles différentes, mais ce sont les peintures des écoles Mewar (région du Rajasthan, Inde nord-occidentale) et Pahāṛi (territoires pré-himalayens) qui prédominent.

Le style pictural des enluminures Rājpūt garde un caractère fortement indien, surtout en ce qui concerne l’iconographie, mais révèle aussi l’influence de la peinture moghol (nom indiquant l’empire fondé par les envahisseurs musulmans mentionnés ci-dessus), à son tour inspiré par l’art persan. Sont récurrents, par exemple, l’absence de clair-obscur, la nature bidimensionnelle, solennelle et hiératique, des personnages, presque toujours de profil, la couleur pleine et brillante. Les thèmes iconographiques récurrents des miniatures les plus anciennes sont les mythes religieux, la représentations de divinités, les épisodes des grands poèmes Mahābhārata et Rāmāyaṇa, les histoires de Kṛiṣhṇa (avec une prédilection pour ses amours avec son épouse Rādhā et les jeunes bergères appelées Gopi), la représentation des rāga et rāgiṇī (cadres mélodiques de la musique traditionnelle indienne, personnifiés, d’où les deux noms masculin et féminin). Ces scènes sont caractérisées par des couleurs très vives et une étonnante recherche du détail (on pourrait par exemple compter toutes les perles des colliers des filles représentées).

À partir du XVIIe siècle, on choisit aussi d’autres thèmes, liés à la vie à la cour : le souverain Rājpūt apparaît entouré de sa gloire royale symbolisée par l’auréole. L'une de ces représentations “courtoises”, qui date de la seconde moitié du XIXe siècle (école Mewar), se démarque des autres par son originalité : la scène de chasse au sanglier du roi et de ses accompagnateurs disparaît quasiment en bas, dans les coin gauche, dans le vert somptueux de la végétation environnante, toute pointillée de petits arbres.

L’école Mugal (Moghol), à l’influence persane, est caractérisée par un paysage presque naturaliste, composé de diverses espèces d’arbres (comme les écoles Būndī et Koṭā d’ailleurs, moins présentes dans la collection), et par un plus grand soin accordé au dessin des figures humaines. Le même héritage est évident aussi dans les textes en langue persane qui accompagnent les miniatures de l’école Deccanī (sultanats du Deccan, Inde centrale).
Les peintures de l’école de Jaipur (capitale du Rajasthan) sont caractérisées par une couleur rouge intense, tandis que dans les miniatures Kishangārh, toujours du Rajasthan, apparaissent des silhouettes longilignes, aux traits aigus.

Les plus originales, à mon avis et à mon goût, sont toutefois les deux compositions géométriques Bīkāner (nord-ouest du Rajasthan) : des chevaux encastrés les uns dans les autres formant un polygone, et la danse de Kṛṣṇa sur la tête du serpent Kāliya, au corps tressé en un cercle dont le centre est le dieu vainqueur.
Voici une exposition intéressante et bien expliquée par les panneaux informatifs dans les salles, qui fait découvrir un monde et des styles inconnus aux non-spécialistes. Un bon début pour un musée encore jeune mais dont l'objectif est de devenir une référence dans son domaine, du moins en Italie du nord : il faut rappeler que son aménagement général est encore en pleine évolution.

L’INDIA DEI RĀJPŪT
Miniature dalla collezione Ducrot
MAO-Museo d’Arte Orientale
Via San Domenico, 11 - Torino
jusqu’au 6 juin 2010