Eleonora Duse
(Vigevano, 1858 – Pittsburgh, 1924)
Née à Vigevano, en Lombardie (région faisant alors partie de l’Empire Austro-Hongrois), le 3 octobre 1858 dans une famille de comédiens itinérants, Eleonora Duse est obligée de jouer dans la troupe de ses parents dès son plus jeune âge, et y apprend donc les fondamentaux de la profession. En 1862, à l’âge de quatre ans, elle joue le rôle de Cosette dans la version théâtrale des Misérables. C’est à l’âge de quatorze ans, alors qu’elle incarne un des personnages de Roméo et Juliette qu’elle découvre réellement sa vocation d’artiste. Quelques interprétations remarquables, notamment celle de Thérèse Raquin de Zola, lui vaudront la reconnaissance de la critique et du public, et le succès. En 1879, à l’âge de vingt-et-un ans, elle rejoint la troupe de Cesare Rossi, la Compagnia Semistabile, au sein de laquelle elle portera à maturation un jeu d’actrice très personnel et d’une grande modernité venant rompre avec les conventions théâtrales de l’époque.
Un peu gauche, dotée d’un petit gabarit et d’une voix qui ne portait pas, sa présence même s’inscrit en contradiction quant à la force physique et vocale que l’on attendait alors des comédiens. Cependant, sa capacité à s’abandonner entièrement à son personnage tout en restant elle-même était extraordinaire et a eu par la suite une grande influence. Eleonora Duse était cohérente sans jamais être la même ni imposer sa personnalité à ses rôles, forçant par là les comédiens avec qui elle partageait la scène et le public à la suivre avec la plus grande attention.
Au fil des ans, elle devient célèbre dans le monde pour son talent révolutionnaire et inclassifiable. Son répertoire est moderne et populaire : du réalisme italien aux pièces de Sardou et de Dumas en passant par Ibsen. Elle impressionne tellement Anton Tchekhov qu’il s’inspire d’elle pour le personnage de Madame Arkadina dans La Mouette. Elle partage une partie de son répertoire avec celui de Sarah Bernhardt, ce qui fait naître, entre les comédiennes, une rivalité emplie de respect qui divise la critique. En l’espace d’une décennie, Eleonora Duse incarnera l’essence du jeu théâtral. Phénomène en Europe, elle entame, en 1895, une tournée en Amérique du Sud, en Russie et aux Etats-Unis qui lui vaut une adulation sans borne et fait d’elle la coqueluche du public à l’échelle mondiale. En 1923, elle est la première femme à faire la couverture du tout jeune magazine Time, une consé - cration pour celle que l’on appelle La Divine. Elle est alors le symbole incontesté d’un théâtre moderne et « l’incarnation de tous les arts » comme la définit publiquement Stanislavski, qui lui attribue l’inspiration de ses théories.
Au-delà de la scène, la vie d’Eleonora Duse fut loin d’être facile. D’humeur sombre et changeante, elle partage bien des traits de caractère de sa personnalité déjà fort complexe avec les personnages qu’elle incarne sur scène. Sa fille Enrichetta nait en 1882 de sa courte union avec un acteur de sa com - pagnie, Tebaldo Marchetti. Eleonora Duse peine à conjuguer sa vie de mère et sa carrière d’actrice. Ses déplacements constants la forcent à placer sa fille en pension, une décision qui lui vaudra d’être rongée par la culpabilité. En 1895, elle entame une longue relation personnelle et professionnelle avec le poète et nationaliste Gabriele D’Annunzio (1863-1938) qui fera scandale. Tout au long de sa vie, Eleonora Duse souffrira de lourds épisodes de dépression pendant lesquels elle s’enferme seule dans sa chambre des jours durant, jusqu’en 1909 où, alors au faîte de sa gloire, elle décide soudain de quitter la scène.
Ruinée par la débâcle économique qui fait suite à la première guerre mondiale, elle décide, en 1921, de remonter sur scène. L’Italie est alors en proie à des agitations sociales et les fascistes de Mussolini s’apprêtent à prendre le pouvoir. Âgée de soixante-trois ans et d’une santé incertaine, elle n’est pas en mesure d’assurer sa présence sur scène tous les soirs, et sa tournée de come-back se solde par des pertes considérables, malgré son immense succès auprès du public et de la critique. Contre l’avis de son médecin, elle décide néanmoins de s’embarquer dans une tournée à l’étranger, d’abord à Londres, puis aux Etats-Unis et à Cuba, dans une dernière tentative d’asseoir son indépendance artistique et financière. Née lors d’une tournée, Eleonora Duse meurt le 21 avril 1924 à Pittsburgh au cours de sa dernière tournée, fidèle jusqu’au bout à son destin de nomade et de ‘Pellegrina Appassionata’.





