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Anna Maria Ortese
Née à Rome en 1914, Anna Maria Ortese, après avoir passé son enfance en Libye, s'établit avec sa famille à Naples en 1928. Elle y vivra, avec des interruptions, jusqu'en 1950, et quittera ensuite cette ville pour Milan, puis Rome (en 1959), avant de se retirer en 1975 à Rapallo, près de Gênes. Ces lieux, qui rythment l'errance d'Anna Maria Ortese à travers l'Italie, correspondent aussi à des étapes précises de sa carrière d'écrivain. Si Naples évoque naturellement un de ses premiers livres, sans doute le plus connu (La mer ne baigne pas Naples, 1953), l'époque milanaise va de pair avec une intense activité de reporter, qui l'amène notamment à travailler pour des journaux et périodiques tels que Milano-Sera, Il Mondo et L'Unità.
Biographie
Il est peu d’écrivains italiens contemporains dont la destinée ait été aussi singulière que celle d’Anna Maria Ortese, née à Rome le 13 juin 1914, morte à Rapallo, près de Gênes, le 9 mars 1998. Parfois célébrée comme la plus grande romancière de la péninsule après Elsa Morante, dont elle partagea bien des obsessions et des colères, elle fut périodiquement oubliée, périodiquement redécouverte. Avant l’éclatant succès critique et public de ses derniers livres, qui ne fut peut-être qu’une autre forme de malentendu, elle pouvait légitimement se considérer comme une étrangère dans son propre pays. Étrangère, d’abord, parce que venue d’un Sud pauvre et méprisé, celui des lieux de son enfance et de son adolescence : la Libye et surtout Naples, « Tolède » imaginaire, ville synonyme de misère mais aussi de puissance vitale, que son extrême sensualité ne rend pas moins surréelle. Dans le quartier du port, la jeune fille, cinquième enfant d’une famille partageant une pièce unique, découvrira les œuvres qui la façonneront durablement : les romantiques anglais, Poe et Katherine Mansfield. En 1933, à la mort de son frère Manuel (premier d’une longue suite de deuils), son désir d’écrire se réalisera et Massimo Bontempelli, maître du « réalisme magique », l’aidera quatre ans plus tard à publier un recueil de nouvelles totalement incompris, Angelici dolori (Douleurs angéliques).
Dès lors, et surtout à partir de La Mer ne baigne pas Naples (Il mare non bagna Napoli), qui recevra en 1953 le prix Viareggio, l’œuvre d’Anna Maria Ortese oscillera entre un néoréalisme nourri par les enquêtes et reportages qu’elle effectuera pour divers journaux, et un fantastique où se mêleront figures allégoriques, épiphanies de bonté dans un monde régi par le mal, enfances mises à mort, innocences prostituées. Le moment capital de ce parcours sera L’Iguane (L’iguana), qui paraîtra une première fois en 1965 et sera réédité au milieu des années 80 : incontestablement le chef-d’œuvre d’un auteur certes inégal, mais dont les plus grandes réussites sont des œuvres majeures de la littérature italienne du XXe siècle. Conteuse née, douée d’une rare faculté d’invention, capable de passer insensiblement du réel quotidien à un espace et un temps autres – comme dans son Port de Tolède (Il porto di Toledo), livre imparfait mais inoubliable, proche de l’hallucination –, Anna Maria Ortese fut toujours partagée entre l’essentielle noirceur du monde et la consolation du merveilleux. Lectrice de Schopenhauer, elle aussi supposa l’existence d’un nirvâna par-delà le désespoir mais, autodidacte, refusa de lier son univers à des options philosophiques trop affirmées.
La déréalisation qui marqua son œuvre au fil du temps – atteignant son comble dans les récits du recueil De veille et de sommeil (In sonno e in veglia) (1987), dans le grand roman La Douleur du chardonneret (Il cardillo addolorato) (1994) ou dans son dernier livre, Alonso e i visionari (Alonso et les visionnaires) (1996) – prit sa source dans l’exil intérieur auquel de terribles et persistantes difficultés matérielles la contraignirent : l’Argent devint pour elle symbole de la cruauté, mais aussi de l’incarnation même, donc du divorce entre la matière obscure et une âme inapte à transcender son échec sans le secours de l’esthétique – par ce mot, elle entendait une forme nouvelle d’unité, capable de réconcilier la présence de l’être au sein du monde et son irrépressible aspiration à un ailleurs. Le marasme social et politique de l’Italie moderne, le triomphe, en elle, du cynisme et de la dérision, enfermèrent Anna Maria Ortese, à la fin de sa vie, dans une solitude visionnaire parfois imprécatrice, mais jamais ses capacités de transfiguration ni la grâce presque sauvage de son imaginaire ne furent atteintes par les souffrances d’une vie errante. Elle a traversé son siècle comme une irrégulière intransigeante et fraternelle : si elle rompit avec la modernité, ce fut par désir de brûlantes profondeurs.
Bibliographie
- Le Chapeau à plumes
- Corps céleste
- Alonso et les visionnaires
- La douleur du chardonneret
- La Mer ne baigne pas Naples
- Le Monaciello de Naples (suivi de) Le phantasme
- Les ombra
- Terreurs d'été
- L'infante ensevelie
- Là où le temps est un autre
- Tour d'Italie : récits de voyage
- Le Port de Tolède