Différences
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+ | ====== Poussière ====== | ||
+ | Poème de [[Carlo Bordini]] | ||
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+ | {{https:// | ||
+ | À propos de Poussière de Carlo Bordini.\\ | ||
+ | Par **Olivier Favier** | ||
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+ | **Poussière est un long poème de plus de quatre-cents vers libres, dont la particularité première est d' | ||
+ | |||
+ | |||
+ | //“ quelque chose de rond,\\ | ||
+ | qui tourne\\ | ||
+ | comme une spirale transparente\\ | ||
+ | comme une spirale transparente, | ||
+ | qui tourne,\\ | ||
+ | qui tourne comme dans un ciel\\ | ||
+ | transparent\\ | ||
+ | qui tourne\\ | ||
+ | qui tourne avec force.\\ | ||
+ | Quelque chose de rond\\ | ||
+ | Ne naît pas, est déjà né\\ | ||
+ | dans un ciel\\ | ||
+ | transparent\\ | ||
+ | et tourne\\ | ||
+ | tranquillement, | ||
+ | comme déjà né et\\ | ||
+ | rond à spirales\\ | ||
+ | comme déjà né\\ | ||
+ | qui tourne\\ | ||
+ | Avec force\\ | ||
+ | |||
+ | quelque chose de rond,\\ | ||
+ | qui tourne\\ | ||
+ | comme une spirale transparente\\ | ||
+ | comme une spirale transparente, | ||
+ | qui tourne,\\ | ||
+ | qui tourne comme dans un ciel\\ | ||
+ | transparent\\ | ||
+ | ou comme de capricieuses\\ | ||
+ | boucles transparentes\\ | ||
+ | qui tourne avec force.\\ | ||
+ | Quelque chose de rond\\ | ||
+ | Ne naît pas, est déjà né\\ | ||
+ | dans un ciel\\ | ||
+ | transparent\\ | ||
+ | et tourne\\ | ||
+ | tranquillement, | ||
+ | comme déjà né et\\ | ||
+ | rond à spirales\\ | ||
+ | comme déjà né\\ | ||
+ | qui tourne\\ | ||
+ | Avec force”// | ||
+ | |||
+ | **Ce passage fait écho à un autre, plus court, en amont du texte:** | ||
+ | |||
+ | //“Une chose rose, très rose,\\ | ||
+ | comme une aube,\\ | ||
+ | pâle et dorée, translucide, | ||
+ | transparente, | ||
+ | comme une aube dorée, translucide, | ||
+ | transparente, | ||
+ | et transparent, | ||
+ | départ, comme une nébuleuse dorée\\ | ||
+ | qui transluit de sa faiblesse, \\ | ||
+ | et délicatesse, | ||
+ | du matin, papillon comme les ailes de la,\\ | ||
+ | comme un drap, un matin heureux.”// | ||
+ | |||
+ | **En fait, il semble que deux mouvements s' | ||
+ | |||
+ | “//être ainsi c' | ||
+ | être ainsi\\ | ||
+ | |||
+ | on ne voudrait\\ | ||
+ | jamais finir\\ | ||
+ | jamais\\ | ||
+ | jamais// | ||
+ | |||
+ | //Une fois je pensai que j' | ||
+ | il était six heures mais il faisait chaud, un miracle. (c' | ||
+ | ... Fumé trop. Comme un coït.\\ | ||
+ | Naturellement il faut éteindre la lumière. Et fermer la porte.\\ | ||
+ | Ce serait bien d' | ||
+ | En effet je les mets aussitôt sous les couvertures.\\ | ||
+ | C'est en octobre, il fait froid. Il faisait chaud, mais c'est froid.\\ | ||
+ | Lumière diffuse. Il n'est pas logique que la plume me tombe des mains. De la fenêtre | ||
+ | on voit les nuages. (et quels nuages).\\ | ||
+ | Les poumons font mal, naturellement.\\ | ||
+ | |||
+ | Je l'ai toujours haïe, et j'en ai toujours\\ | ||
+ | eu peur. Et j'ai toujours été aimable avec elle.\\ | ||
+ | Je me suis levé et la vue, lavée par la pluie,\\ | ||
+ | était comme les vieux peintres italiens\\ | ||
+ | Le divin sarcasme. Dieu\\ | ||
+ | est très sarcastique, | ||
+ | quelqu' | ||
+ | entend les voix. Continuer n'a pas de sens.) | ||
+ | |||
+ | parce qu'\\ | ||
+ | en effet\\ | ||
+ | ils fouilleront parmi mes os//” | ||
+ | |||
+ | **L' | ||
+ | |||
+ | “Je serai toujours un peu moins que celui que je suis,\\ | ||
+ | et même, beaucoup moins. Poussière. J'ai beaucoup perdu.\\ | ||
+ | Ce que l'on perd est irrécupérable, | ||
+ | est désormais dispersé, il ne rentre plus dans l' | ||
+ | des choses. Je suis content\\ | ||
+ | si de moi ne reste qu'une légère\\ | ||
+ | enveloppe. J'ai perdu\\ | ||
+ | beaucoup. Dans cette légèreté, | ||
+ | ce qui importe le plus est l' | ||
+ | que tout soit rond et recueilli. Cela\\ | ||
+ | suffit. Tout ce qui est dévasté peut devenir rond,\\ | ||
+ | rond encore. Comme un vase. C'est encore possible.” | ||
+ | |||
+ | **Le corolaire de ce paradoxe est l' | ||
+ | |||
+ | “ (...) Je suis content\\ | ||
+ | de ne pas comprendre les choses. Leur\\ | ||
+ | raison. Il y a des choses que j' | ||
+ | content. Elles apparaissent comme des mystères, | ||
+ | tranquilles. Par exemple,\\ | ||
+ | la jeune femme que je vois toujours, m' | ||
+ | ou non? Je ne le sais pas. Je suis content\\ | ||
+ | de ne pas le savoir. Je suis content de ne pas savoir\\ | ||
+ | si je l' | ||
+ | l' | ||
+ | de ne pas savoir si j' | ||
+ | me rassure plus que son amour.\\ | ||
+ | Il est beau de ne pas savoir. Ne pas savoir, par exemple,\\ | ||
+ | combien je vivrai,\\ | ||
+ | ou combien vivra la terre.\\ | ||
+ | Cette suspension\\ | ||
+ | remplace l' | ||
+ | |||
+ | **Dans un texte des années 1980, “Début d'un roman non écrit”, publié dans le recueil de proses Pezzi di ricambio (2003) -paru en français dans la revue Siècle 21- Carlo Bordini écrivait déjà :** | ||
+ | |||
+ | « J'ai la très étrange sensation d' | ||
+ | |||
+ | **Le ton est singulièrement différent dans Polvere, comme si la prise en considération du vieillissement, | ||
+ | |||
+ | « Dans les années soixante-dix, | ||
+ | |||
+ | **Le ton est donné. S'il nous décrit par la suite une évolution rapide, une époque aux espérances aussi fortes que les désillusions qui suivirent, c'est pour s'y présenter aussitôt en témoin, en homme de la « zone grise » justement. Comme si, à titre personnel, il avait fait sien le mot d' | ||
+ | ** | ||
+ | **Dans un texte écrit en 2008, dans la période précédent les élections, il va encore plus loin:** « dans cette situation, écrit-il, ma principale préoccupation, | ||
+ | |||
+ | **De fait, son œuvre ne le conduit pas vers une vision désenchantée du monde: vision dépressive de celui qui contemple la vie derrière une vitre, ou, pour citer les derniers mots du Feu follet de Pierre Drieu la Rochelle, de celui qui ne peut « se heurter à l' | ||
+ | |||
+ | « De ma fenêtre je ne vois rien. Il est vrai que je n'y regarde jamais. Ou, pour mieux dire, il m' | ||
+ | |||
+ | **Ce court récit s' | ||
+ | |||
+ | « En réalité, la télévision est ma fenêtre. L' | ||
+ | |||
+ | Je dois confesser que je vis dans une sorte de réalité virtuelle. Je suis abonné à tous les programmes payants ou presque. J'ai beaucoup d' | ||
+ | |||
+ | **L' | ||
+ | |||
+ | « Nous qui\\ | ||
+ | sommes tout entier recroquevillés dans nos rêves\\ | ||
+ | nous savons que\\ | ||
+ | Il y a quelque chose d' | ||
+ | Il y a quelque chose d' | ||
+ | qui consiste dans le fait que les rêves d' | ||
+ | pareils aux nôtres\\ | ||
+ | et dévoilent la honte\\ | ||
+ | de nos rêves privés\\ | ||
+ | leur petitesse infantile\\ | ||
+ | leur caractère honteusement (pour nous) préfabriqué »\\ | ||
+ | |||
+ | **Dans Poussière, tout se passe comme si l' | ||
+ | ** | ||
+ | “Sans femme nous ne savons rien\\ | ||
+ | faire. Maintenant nous le savons, et c'est ainsi.\\ | ||
+ | Ou bien, autre interprétation, | ||
+ | femmes qui ne voulaient pas être femmes, mais qui voulaient jouer avec les petits garçons,\\ | ||
+ | petites filles elles aussi. Ô nos célibataires, | ||
+ | cela s'est simplement passé ainsi. L' | ||
+ | et vous ne pouvez plus jouer avec nous. L' | ||
+ | auquel vous vouliez participer. Maintenant vous devez de nouveau jouer les dames; et vous | ||
+ | | ||
+ | Votre tremblant, frémissant bovarisme est tombé. Vous ne pouvez pas jouer\\ | ||
+ | dans l' | ||
+ | Vous ne pouvez pas être leurs petites femmes et jouez avec eux.\\ | ||
+ | Le monde des enfants est tombé, et il ne reste que nous les vieillards\\ | ||
+ | décrépits. Vous pouvez vous occuper de nous, si vous voulez.\\ | ||
+ | Il ne vous reste que nous.\\ | ||
+ | Peut-être que le monde sera sauvé par les femmes, décrépit...\\ | ||
+ | Les femmes nettoieront le cul du monde...”\\ | ||
+ | |||
+ | **Je voudrais citer en écho, hyper-vérité toujours, ce passage de Poème inutile, publié cette année dans Sasso, paru en français dans la revue Décharges, en décembre prochain. Il me semble reproduire le mouvement même de la vie, son obscénité justement, dans l' | ||
+ | ** | ||
+ | « Quand elle se suicida, je n'en eus rien à foutre\\ | ||
+ | d' | ||
+ | Elle était toujours tellement attachée, je n'en pouvais plus\\ | ||
+ | j' | ||
+ | Nous vivons tous à l' | ||
+ | Oh aimez-moi s'il vous plaît cette poésie est trop triste\\ | ||
+ | Quand elle mourut\\ | ||
+ | J'ai vécu cet œdipe en retard\\ | ||
+ | Faire un voyage dans l' | ||
+ | ceux qui brûlent des mannequins\\ | ||
+ | ont raison, mais ça ne convient pas\\ | ||
+ | il faut dire: ce sont des victimes, ce n'est pas leur faute\\ | ||
+ | la campagne vue d'en haut\\ | ||
+ | me coupait le souffle\\ | ||
+ | et notre génération d' | ||
+ | l' | ||
+ | ne pas avoir pu la sauver » | ||
+ | |||
+ | **Le suicide, ici, rompt l' | ||
+ | ** | ||
+ | “Ainsi je me souviens.\\ | ||
+ | Une nuit, à la campagne, une sauterelle\\ | ||
+ | se matérialisa dans ma chambre à coucher,\\ | ||
+ | sautant ici et là. La pensée de l' | ||
+ | de cette sauterelle démente, de ce saut dément\\ | ||
+ | me paralysait et alors je pris une tasse et je la\\ | ||
+ | mis sur cette sauterelle, n' | ||
+ | Le matin suivant cette sauterelle était morte, privée d' | ||
+ | je pensai\\ | ||
+ | que je l' | ||
+ | dans l' | ||
+ | Horreur qui était pour elle, pas seulement pour moi, mais pour arrêter\\ | ||
+ | cette horreur\\ | ||
+ | la seule alternative était d' | ||
+ | Et l' | ||
+ | était de peu inférieure à l' | ||
+ | de ces sauts déments ici et là.\\ | ||
+ | Ainsi je me souviens.”\\ | ||
+ | |||
+ | **Poussière donc, et je regrette ici de ne pouvoir le lire en entier, n'a rien d'un hymne à la négativité. Le pessimisme, et l'on me permettra de reprendre les mots du poète et critique Andrea di Consoli, y est un « pessimisme de méthode », léopardien pour ainsi dire. Si la vieillesse est un chemin vers la désagrégation du corps -la poussière, on le sait, est aussi un topos chrétien-, elle n'en reste pas moins celui qui mène vers un apaisement du désir, et donc vers une perspective plus vaste de l' | ||
+ | |||
+ | “Dans cette diminution, | ||
+ | est ma patience.\\ | ||
+ | Les petites douleurs servent\\ | ||
+ | à éviter les grandes.\\ | ||
+ | Ainsi la fluidité de l'eau et aussi de la terre,\\ | ||
+ | changement continuel du jour et de la nuit. »\\ | ||
+ | |||
+ | Passage symptomatique, | ||
+ | |||
+ | “Donc, cela se passa ainsi:\\ | ||
+ | Ainsi de l' | ||
+ | se formèrent des décombres, et cette unité ne surgit pas,\\ | ||
+ | et les décombres se firent poussière. De cette poussière ressurgit\\ | ||
+ | la vie, une seconde vie artificielle, | ||
+ | les maisons, les habits, les belles femmes, les talons aiguilles, les collants,\\ | ||
+ | la brillantine pour hommes. Vie qui surgit de la\\ | ||
+ | fragilité. Comme une possession. Les sens étaient morts.\\ | ||
+ | Vie diminuée. Réduite.\\ | ||
+ | Comme un cauchemar au repos. Un reflet\\ | ||
+ | dans un lac. » | ||
+ | |||
+ | **La conscience de la mort à venir - conscience de la vieillesse comme une promesse de mort-, a son pendant dans le retour aux origines, comme si le mystère de la vie, de la naissance, se dévoilait enfin:** | ||
+ | |||
+ | “Ainsi naquit la vie. De la poussière, de la\\ | ||
+ | catastrophe. Du brisement et des décombres\\ | ||
+ | brisés. Ainsi naquit la force. De la \\ | ||
+ | faiblesse, de ce que la faiblesse\\ | ||
+ | implique. De son acceptation à se faire\\ | ||
+ | pénétrer par le soleil. » | ||
+ | |||
+ | **Cette conscience double est aussi rendue par l' | ||
+ | ** | ||
+ | « -Les artistes sont des femmes:\\ | ||
+ | -parce qu'ils créent (seules les femmes créent, les hommes se contentent d' | ||
+ | |||
+ | C'est peut-être ici qu'on pourrait mettre à nu une dialectique cachée, archaïque aussi, | ||
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+ | « Un dimanche matin, il avisa dans son échoppe de cordonnier, sur une étagère fixée au mur, une assiette d' | ||
+ | |||
+ | **C' | ||
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+ | « Ainsi je me suis toujours représenté Ghirri comme un grand alchimiste, comme quelqu' | ||
+ | Tel est, je pense, ce qu'il y a derrière cette apparente, stupéfiante « simplicité », cette idée d'un monde simple, qui se crée seul, et qui n'a aucune, aucune possibilité d' | ||
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+ | //Olivier Favier// | ||
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+ | Conférence prononcée à l' | ||
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