L'Aquila

Publié le lundi, 14 septembre 2009 à 17h46

Lettre au président de la République : « 5 mois après le séisme, les Aquilani ne savent pas où ils passeront l'hiver»

Par Vito Vespucci

100x100 Rete-AqFin d'après-midi, 7 septembre. Un nouveau email m'arrive de la liste de diffusion du comité "3e32" (pour 3h32, 6 avril 2009: le séisme), un lieu peu virtuel, très actif.

La lettre est d'un certain Vittorio Alvino, à 16h50 : « Tout d'un coup m'est venue l'idée d'écrire au président de la République, rien moins que ça!!! J'ai pensé cette lettre comme une prise de position collective, la nôtre, mais si vous avez des objections elle est modifiable. Envoyez moi vos corrections et suggestions le plus vite possible. J'aimerais la publier dès aujourd'hui ».

Puis, à 20h29, déjà, elle est en ligne : « J'ai envoyé la lettre, en tant que « rete-Aq » (réseau Aquila ndlr), au président de la République Napolitano. Vous pouvez en devenir signataire en l'envoyant via cette adresse. Ci-dessous le texte final. À bientôt, Vittorio. »

Pauvre Napolitano, c'è la fila! c'est la méga-queue au guichet dans le couloir menant à son bureau. « Être un sage, ou être sage, telle est la question » semble-t-il avec Giorgio Napolitano, garant des institutions... Bref, et allez! Voici un comité en plus se faisant la voix de 60.000 personnes le suppliant d'agir.

Le texte de Vittorio est daté « Lundi 7 avril 2009 ». Erreur, lapsus, intentionnel? Il faudrait choisir entre lundi 6 avril 2009 (séisme), mardi 7 avril 2009 (« J+1 »), ou lundi 7 septembre 2009, date réelle. Mais, pour qui y vit ou y a vécu, suit ou a suivi de près la situation post-séisme, l'impression est certainement la même: il a eu lieu hier.

Si en France Le Figaro estime que ''tout baigne à L'Aquila (et youpi!)'' et que le Cavaliere y a fait un travail exceptionnel (résumons), beaucoup ne partagent pas cet avis. Ce n'est d'ailleurs pas Berlusconi l'unique coupable ni le problème. Ce sont les Aquilani. Concernant l'ami Silvio, il a déjà tant à faire ce povero uomo qu'honorer les lieux de sa présence, de temps en temps, pour un petit « spot » télévisuel, mine de rien, avec tous les milliards d'électeurs qu'il a en Italie ça ne peut être qu'un signe fort des institutions italiennes... vero? Evviva!. Et puis il a même dit (promis?) à Zappatero (!) que ces pauvres bougres trouveront du champagne dans le frigo de leur nouvelle petite maison, bientôt.

Sinon que l'impression -devenue constat- d'abandon des personnes et des lieux, du territoire et de son histoire, ce que l'état des lieux nous jette jour après jour à la figure, est et reste asphyxiant. Comme le contenu, traduit ci-dessous, de cette lettre que j'estime un bon résumé dénué d'instrumentalisation l'illustre parfaitement. Vous y remarquerez, fait rare, l'absence de coupables nominés, sinon la mise en cause de la responsabilité « morale » du président de la République dont le rôle semble aujourd'hui réduit à signez en bas à droite s'il-vous-plaît. Toute l'attention y est focalisée sur les réfugiés et leurs racines. La reconstruction et pas la construction. Le reste importe peu.


« La vérité c'est que nous n'avons toujours pas de maisons... »



07.09.2009

Cher Président, les compte-rendus sur la visite que vous nous avez rendu hier à L'Aquila, 5 mois après le séisme du 6 avril, évoquent la chaleur avec laquelle les Aquilani vous ont accueilli et votre soulagement d'y avoir rencontré « des gens confiants et souriants » qui « croient beaucoup en nos institutions », et ce malgré tout ce qui s'est passé. Sinon, à part quelques réflexions folkloriques, rien d'autre n'a été reporté par les médias. Nous savons que vous avez parlé avec les responsables de la Protection Civile et des représentants locaux. Vous avez pu poser des questions, observer la situation, vous informer. Mais vous n'en avez rien reporté.

C'est vrai, monsieur le Président, nous croyons en nos institutions. Nous et aussi ceux qui n'étaient pas là pour vous serrer la main et écouter l'hymne de Mameli. Nous y croyons, et même énormément. Parce qu'elles représentent pour nous la possibilité de pouvoir affronter et résoudre ensemble les problèmes de notre communauté. Ensemble. Donc, vu que des problèmes, depuis le 6 avril 2009 (date du séisme, ndlr) nous en avons un peu plus que d'habitude, nous croyons vraiment beaucoup en nos institutions. Parce qu'on en a sacrément besoin.

Ça vous le savez. Vous avez pu le voir. Vous avez pu voir avec vos yeux l'ampleur immense de la destruction, et vous savez bien, comme nous tous, que d'un tel événement on ne se relève pas, sinon grâce à un effort collectif surhumain. Mais surtout en prenant les justes décisions qui s'imposent. Ou alors, tout simplement, la ville et ses bourgs meurent.

Vous avez vu, cher Président, le sourire refleurir sur les lèvres de quelques habitants d'Onna, car après de trop nombreux deuils, après 5 mois de souffrance, dans des tentes, ceux d'Onna pourront avoir un toit dans le petit village en bois érigé à côté de la ville détruite. Vous avez pu comprendre, cher Président, que l'espoir est celui de pouvoir reconstruire les liens brisés par le séisme. Avec les personnes et avec les lieux. Il réside en rester ensemble, ici, chez nous, proches de nos maisons déglinguées, détruites ou à moitié. Nos maisons. L'espoir c'est: reconstruire sa maison, l'école, les rues et les places. Et d'y revivre ensemble.

Mais sur la route qui mène de L'Aquila à Onna, cher Président, vous aurez aussi vu le chantier de Bazzano, où se construit le plus grand des 19 nouveaux complexes destinés à héberger ceux qui ont perdu leur maison à cause du séisme. Le « Plan M.A.I.S.O.N.S. » (« piano C.A.S.E. » ndlr), voulu par la Protection Civile, prévu par un décret venant de l'institution « Gouvernement » , devenu loi via l'institution « Parlement », approuvé avec le soutien convaincu de l'institution « Région Abruzzes », avec l'aval de l'institution « Province et commune de l'Aquila ». Et ça c'est une toute autre histoire. C'est malheureusement la vraie histoire. Celle qui n'a rien à voir avec ce qui se passe à Onna: c'est son contraire.

Le « Plan » était déjà prêt, ambitieux et innovant: enfin, les réfugiés n'étaient plus destinés à vivre sous une tente ou dans une roulotte. Plutôt, après quelque temps passés sous tente, ils auraient pu être directement hébergés dans de vraies maisons, anti-sismiques, écologiques et ce avec tout le confort possible. Environ 5.000 habitations pour à peu près 15.000 personnes. Et ils auraient habité là le temps nécessaire à la reconstruction de leur propre maison.

Ainsi 30.000 personnes ont été placées dans des tentes pendant 5 mois, et autant d'autres furent dirigées vers des hôtels de la côte abruzzese. Parce que tous à l'automne auraient eu un toit: ceux ayant fait réparer les dommages subis par leur propre maison comme ceux qui auraient été relogés dans le cadre du « Plan M.A.I.S.O.N.S. ». Mais, cher Président, ça ne s'est pas passé comme ça. On vous ne l'a pas dit?

On a commencé à supprimer des tentes, ça oui, vraiment, mais les maisons endommagées n'ont pas été réparées. Et quand celles du « Plan M.A.I.S.O.N.S. » seront prêtes (en décembre 2009? février? avril 2010?) elles ne suffiront pas. Pour cela les réfugiés des « tendopoli » (camps sous tente -de « tenda »: tente- ndlr) sont déplacés dans des casernes ou des hôtels, la destination certaine leur étant communiquée peu avant le départ, afin de réduire le risque de contestation. Les hôtels de la région de L'Aquila sont pleins, et donc des dizaines de milliers de personnes devront être placées sur d'autres territoires et provinces. Ceux qui ont la chance d'avoir encore un travail ou un enfant scolarisé à L'Aquila pourront s'y rendre en utilisant leur propre véhicule ou bien, dit-on, des navettes qui leur seront gracieusement mises à disposition par les institutions. Pour les autres, ce sera l'attente dans l'incertitude.

C'est l'histoire d'une dévastation annoncée, cher Président. 5 mois après le séisme, le démembrement qui frappe notre communauté depuis le 6 avril continue. Hier, aujourd'hui, et demain encore. Parce qu'on a pas su, ni voulu, donner priorité à la reconstruction. Mais plutôt à la construction. Ici la vieille maxime a conservé tout son sens: « divide et impera » : si tu veux commander des hommes, tiens les séparés. Dans les « tendopoli » où les gens vivent ensemble par la force des choses, il est interdit de distribuer des tracts, il est interdit de de se réunir et de discuter librement. Les droits et la liberté constitutionnels, cher Président?

De suite et de toutes nos forces, nous avons demandé aux institutions que soient épargnés souffrance et argent publique, ainsi que préservée la beauté de ce territoire, en appelant à l'utilisation provisoire de maisons en bois, de préfabriqués, ou d'autres équivalents. Des solutions rapides (la réalisation en aurait pris 4 semaines), économiques (le coût en représentait un tiers de celui d'une « M.A.I.S.O.N. »), dignes, sûres, nous permettant de rester proches de notre territoire à reconstruire, et ces habitations provisoires auraient pu disparaître quand leur usage n'aurait plus été nécessaire. Mais non, il n'y a rien eu à faire. Les institutions n'ont pas voulu nous écouter.

Non, il y a ce besoin de construire des nouvelles « M.A.I.S.O.N.S », en travaillant 24h/24, en dépensant absolument tout l'argent disponible (710 millions d'euros). Et même celui des dons versés par les Italiens. On construit à toute vitesse du définitif, là où on trouve de la place, sans logique urbanistique, sans respecter aucunement les critères de voisinage des foyers précédents. Et pendant ce temps là, tout le reste est en suspens et l'hiver à nos portes. Le réparable n'est pas réparé et le centre historique de L'Aquila est plongé dans un silence fantômatique. Pourquoi?

Que feriez-vous cher Président si 5 mois après le séisme vous ne saviez pas où faire vivre votre famille, où vos enfants iront à l'école, et deviez retrouver un travail que vous perdu? Si vous n'aviez pas la moindre idée de comment et quand vous pourrez réparer votre maison, si vous en avez encore une? Beaucoup de gens, beaucoup trop, n'ont eu d'autre choix que de devoir partir, et ont du aussi accepter le fait de ne pouvoir retourner à l'Aquila, et ce pour longtemps. Mais si ce n'est pas maintenant qu'ils le peuvent, 5 mois après, alors quand? Le dépeuplement en cours, progressif, aura un effet définitif si quelque chose d'important ne change pas le cours des évènements, et ce tout de suite.

Tout cela nous l'avons dénoncé, demandé, hurlé, à toutes les occasions et de toutes les manières. Mais personne ne vous en a rien dit? Pourquoi hier, dans vos mots, n'avons nous pu saisir la moindre perplexité, le moindre doute quant aux choix effectués?

Cher Président, vous avez raison de penser que nous croyons vraiment en nos institutions, mais pourtant vous vous trompez, cher Président, car la confiance en elles a disparu. Les attitudes hautaines, cette arrogance, l'ignorance, les complicités, des intérêts inavouables, l'incapacité et l'inaptitude, tout cela ruine la confiance en nos institutions. Et le silence, aussi.

''« Comitato Rete-Aq » (Comité Réseau-L'Aquila)
« Campagna 100% » (Campagne pour la reconstruction à 100%)
« Ricostruzione – Trasparenza – Partecipazione » (Reconstruction – Transparence – Participation)''
http://www.100x100aq.org/

Vittorio Alvino a 43 ans, est né à L'Aquila et vit à Rome. Il a créé le groupe Rete-Aq (réseau Aquila), qui adhère au mouvement "100x100" (reconstruction à 100%). La maison de ses parents, au centre historique de L'Aquila, est sinistrée.

( « Lettera a Napolitano :
''«La verità è che restiamo senza case»
«Dopo cinque mesi non sappiamo dove passeremo l'inverno e gli alberghi sono già pieni di sfollati''
http://www.100x100aq.org/


Traduction de l'italien: Vito Vespucci

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