Politique et économie

Publié le mardi, 29 septembre 2009 à 22h59

"Le fou furieux" (Marco Travaglio)

Par Vito Vespucci

L'état des lieux. Ce texte satirique de Marco Travaglio paru aujourd'hui en première page du "Fatto Quotidiano" relève un ensemble de déclarations et attitudes soutenues par le président du Conseil italien. "Et sa clique", vient l'envie d'ajouter, mais on laissera ce mot au régime de Pékin qui l'utilise contre le Dalaï-Lama. Quoiqu'un point en commun, Silvio et le Dalaï-Lama, ils pourraient l'avoir, ou même l'ont déjà (les fans les plus déchaînés du Cavaliere ont créé -dans l'euphorie de la naissance du PDL- un comité de soutien pour que Berlusconi soit candidat au prix Nobel de la Paix).
      Bref, voici une tranche de vie du lamentable (et très périlleux) quotidien médiatique en Italie, comme relayé fièrement -sur un autre ton, sérieusement et avec emphase- par les chaines Mediaset du président du Conseil, mais aussi par la RAI dont l'information a été mise au pas et par des quotidiens à très fort tirage comme Il Giornale o Libero.
     L'effet de compilation peut impressionner. Tout ce qui est exposé par Marco Travaglio dans son billet a été fortement suggéré ou dit, et revendiqué si besoin était, jusqu'au délire final. Parfaitement "vu à la télé". Ladies and gentlemen, voici "l'homme un peu plus égal que les autres", "le meilleur président du Conseil depuis 150 ans"... Difficile de faire mieux, puisque la république est instaurée depuis 1946... il voulait peut-être dire: "de l'unité italienne", ce qui n'a aucun sens non plus... Mais à la télé vous savez ce n'est pas grave. Bon appétit.
      vV


"LE FOU FURIEUX" de Marco Travaglio


    "Avis à la population! Message récapitulatif en diffusion nationale:
     L'opposition ne doit pas s'opposer! Et jusque-là tout va bien car, coup de bol, elle ne le fait pas!
     Les journalistes ne doivent pas me poser de questions! Sinon celles que je suggère.
     Les photographes ne doivent pas me photographier! Sinon les miens.
     Les maires ne doivent pas faire les maires!
     Les magistrats ne doivent pas enquêter sur les attentats de de la mafia! C'est à dire sur moi, parce que c'est de l'histoire ancienne.
     L'homme d'honneur de Cosa Nostra Vittorio Mangano était un héros! Comme il l'a prouvé en ne citant pas mon nom, ni celui de Marcello (Dell'Utri, nda).
     Les juges ne doivent pas interpréter ni contester les lois! Et si la Constitution le leur permet, alors c'est la Constitution qui ne va pas.
     La Cour Constitutionnelle ne doit pas se permettre de juger inconstitutionnelles mes lois inconstitutionnelles! Mais qui croit-elle être?! la Cour Constitutionnelle?
     Le Chef de l'État doit signer ce que je lui envoie moi, et basta! Comme il a d'ailleurs toujours fait.
     Les tribunaux doivent condamner tous les immigrés par principe et acquitter tous mes amis par principe!
     Moi je peux dénoncer en justice qui je veux! Mais personne ne peut me dénoncer moi.
     Les porte-paroles de la Commission européenne ne doivent pas porter la parole de la Commission européenne! Sinon nous sortirons de cette Europe.
     Les parlementaires ne doivent pas voter! Parce qu'ils me font perdre un temps précieux: suffisent amplement les chefs des groupes parlementaires pour le faire.
     L'ONU ne doit pas faire l'ONU! Sinon nous sortirons aussi de l'ONU.
     L'Église ne doit pas fourrer son nez dans les droits de l'homme concernant les immigrés et Dino Boffo (ex-directeur de l'Avvenire, "victime" de Feltri du Giornale, nda) ! Mais seulement dans les affaires qui relèvent de sa compétence: l'école privée, la taxe d'habitation, la fécondation assistée, le testament biologique.
     Le Pape doit donner la communion aux divorcés! Ou tout du moins à l'un de ces divorcé: moi.
     Les Italiens doivent se marier à l'Église et avoir une seule famille! Sauf moi et mes familles.
     Michelle Obama, la femme bronzée du bronzé, doit m'embrasser! Et le cas échéant se laisser faire plotter un peu.
     Ma femme ne doit pas me demander de divorcer! Mais moi je peux demander à divorcer de ma femme.
     Gianfranco Fini ne doit pas avoir des idées! Et si lui en viennent qu'il se les tienne.
     Les publicitaires ne doivent pas faire de publicité dans les journaux qui ne m'appartiennent pas! Ni dans les télévisions qui ne m'appartiennent pas (d'ailleurs celles-ci sont très peu).
     La RAI doit être contrôlée par le gouvernement! J'entends: quand le gouvernement c'est moi, car quand je suis l'opposition cette tache incombe à l'institut de Vigilance, c'est-à-dire à l'opposition, donc à moi-même.
     Les journalistes Santoro et la Gabanelli ne doivent pas raconter la vérité sinon c'est du journalisme! Et c'est mauvais pour l'image de Bruno Vespa.
     Mes journaux invitent les électeurs de centre-droit à ne pas payer la redevance télévisuelle à la RAI; ainsi les salaires de Minzolini, Mazza, Orfeo, Liofredi, Masi, Vespa et les autres copains seront payés par les électeurs de la gauche!
     La crise financière n'existe pas! C'est une illusion optique véhiculée par les gazettes de la gauche: il suffit de ne pas en parler pour qu'elle disparaisse.
     Les contribuables doivent cesser de se lamenter que les impôts sont trop élevés! Je leur fais une remise chaque année, veulent-ils bien l'enregistrer?
     Les cinéastes ne doivent pas faire de films qui ne soient pas produits par moi! Sinon adieu chef-d'œuvres: ils ne produisent que de la culture de bas étage.
     Les enseignants ne doivent pas enseigner!
     Les accompagnatrices ne doivent pas être payées! Sinon adieu le plaisir de la conquête.
     Les ténors lyriques doivent aller travailler dans les champs! Bons à rien qu'ils sont!
     Le carnaval de Viareggio ne doit pas permettre qu'il y ait des chars se moquant de moi! Si nécessaire ils peuvent le laisser faire avec Mao, Staline Pol Pot et Di Pietro.
     Je n'ai rien à voir avec le quotidien Il Giornale de Feltri! Mais je m'en dissocie totalement.
     Kakà et Leonardo travaillent contre moi!
     Fini est un nain! Je fais 1,71m et personne ne peut se permettre d'être aussi grand que moi; ce qui ceci dit en passant est impossible.
     Je suis le meilleur président du Conseil! Et ce depuis Mario et Silla: me l'a dit le pote Alcido e Gasperi, que Don Sturzo m'a présenté l'autre jour pendant notre conférence téléphonique avec Luigi Einaudi..

     (L'ambulance est arrivée. Ils le prennent, le soulèvent et l'emmènent de force)



Marco Travaglio
"Chiamate l'ambulanza"
29.09.2009 / Il Fatto Quotidiano #6
Traduit de l'italien par Vito Vespucci