Antimafia

Publié le lundi, 28 septembre 2009 à 08h27

"L'agenda rouge: programme politique de la résistance italienne" (Borsellino, De Magistris)

Par Vito Vespucci

"Ce que je veux? La vérité. C'est trop demander? C'est un comportement subversif?" (Salvatore Borsellino)

      Rome - Samedi 26 septembre 2009, environ 1500 personnes se sont retrouvées piazza "Bocca della Verità" (bouche de la vérité) pour se rendre ensuite à Piazza Navona. Salvatore Borsellino en tête, tous un agenda rouge en main. Rouge comme celui qui fut volé à Paolo Borsellino quelques minutes après l'explosion qui lui couta la vie, Via d'Amelio à Palerme, 57 jours seulement après le meurtre de son collègue de l'antimafia Giovanni Falcone.

      Un petit agenda rouge qui ne le quittait jamais, empli de notes, d'enquêtes, de révélations de repentis: aujourd'hui surnommé la "boite noire" de la seconde République italienne, contenant vraisemblablement les secrets menant à ses propres assassins, à ceux de Falcone, et pas seulement.

      Selon Salvatore Borsellino, le contenu de l'agenda est certainement si explosif qu'il créerait un véritable tremblement de terre politique aujourd'hui s'il réapparaissait: "Quand Paolo a été tué, c'était certainement aussi pour lui soustraire cet agenda rouge, sur lequel il avait noté tant de secrets sur les infiltrations de la criminalité organisée à l'intérieur de la magistrature, des services secrets, et de l'État. Si ces infamies venaient à être découvertes, alors probablement nous assisterions à un nouveau tournant dans l'histoire italienne".

      Cet agenda rouge était dans la mallette du juge ce jour-là (en a témoigné sa femme Agnese) mallette qui résista à l'explosion, et qui aurait été prélevée par le carabinier Arcangioli alors que les voitures brulaient encore. Puis repris sa place sur le lieu du drame un peu plus tard, sans l'agenda à l'intérieur. Cette supposition est documentée. Par une photo d'Arcangioli valise en main.

      Mais la justice italienne, celle du vice-président du Conseil Supérieur de la Magistrature Nicola Mancino (alors ministre de l'Intérieur, régulièrement évoqué comme ayant été peut-être le représentant de l'État dans une négociation secrète avec Cosa Nostra à cette époque) ne bouge pas. Le temps passe, et Mancino lui-même, protagoniste du plus obscur épisode pré-attentat a des trous de mémoire: il continue à ne pas se souvenir d'avoir rencontré Paolo Borsellino le 1er juillet 1992, 18 jours avant l'attentat. Le sujet de la conversation, si elle a eu lieu, aurait pu être le pacte secret entre l'État et Cosa Nostra, la demande à Borsellino de tout laisser choir, d'être complice, et recevoir un net refus de la part du magistrat. Un refus qui aurait écourté encore un peu plus le nombre de jours qui restaient à vivre à ce "cadavre ambulant", comme se définissaient les héros de l'antimafia. Et si cette invraisemblable conversation entre Mancino et Borsellino avait eu lieu, son contenu en aurait alors vraisemblablement été noté dans l'agenda. C'est aussi pour cela que le cortège est passé devant le Viminale, siège du ministère de l'Intérieur.

      "Notre programme c'est l'agenda rouge", a dit Luigi De Magistris lors d'une intervention pendant la manifestation "la marcia delle agende rosse" (la marche des agendas rouges).

      Cette phrase lapidaire du parlementaire européen Luigi De Magistris s'est vraisemblablement voulue être aussi une réponse au président de la République italienne Giorgio Napolitano, qui a refusé de participer à la manifestation du "peuple des agendas rouges" (il popolo delle agende rosse) car la considérant celle d'un parti politique, comme reporté par Salvatore Borsellino au quotidien L'Unita en se désolant de son absence: "Nous ne sommes pas un parti politique, mais le parti des gens honnêtes".

      De Magistris: "L'agenda rouge un programme, parce que si nous rendons possible l'accès à la vérité aux magistrats qui enquêtent sur les attentats de 1992 et 1993, alors nous comprendrons pourquoi la mafia est passée des bombes au contrôle des institutions. Nous devons savoir pourquoi tout cela est arrivé, seulement ainsi nous nous réapproprierons notre liberté, celle de l'information, du pluralisme, du droit au travail."

      "De quoi devrions nous parler au parlement européen? En Italie, Salvatore Borsellino ne trouve pas d'espace pour s'exprimer, et personne ne parle de tout cela. Au contraire, ils essayent d'occuper les consciences, et anesthésier cœur et sensibilité. En Europe par contre on nous écoute, et cela dérange".
      Il conclut: "Nous continuerons cette lutte parce que nous le devons à ceux qui ont sacrifié leur vie, tels Paolo Borsellino et Giovanni Falcone. Nous le devons aux citoyens qui ne courbent pas l'échine. Nous serons l'instrument de ceux qui ont soif de justice."

      Paolo Borsellino fut assassiné le 19 luglio 1992 à Palerme, sur le pas de porte de la maison de sa mère. La veille, selon sa soeur Adèle, il lui aurait confié: "si une certaine chose va à bon port, je pourrais cesser de faire le magistrat, j'aurais réalisé ma mission".

      "La vérité" dit Salvatore Borsellino "est que le décor de Via D'Amelio, constitué de pactes inavouables et de chantages en cascade, est le fondement de la seconde république".

      La manifestation, organisée par l'Associazione familiari vitime della mafia a été soutenue (présence physique ou liaison téléphonique) par de nombreux protagonistes de ce qui vient chaque jour défini plus clairement comme la "résistance italienne": Antonio Di Pietro, qui a participé au financement de la manifestation, Sonia Alfano (comme De Magistris, candidat "non-inscrit" de l'IDV aux dernières européennes), Marco Travaglio, Beppe Grillo, Pino Masciari...

      Antonio Di Pietro a été invité par Borsellino (et De Magistris lui-même très récemment) a faire devenir l'Italie des Valeurs (Italia dei Valori) le parti des "gens honnêtes", en se libérant des "déchets" encore présents au niveau local dans le jeune parti. L'IDV a vu son score doubler aux dernières européennes à travers le vote massif envers des personnages irréprochables, comme De Magistris, ou Sonia Alfano dont le père est une victime de la mafia.

      Salvatore Borsellino: "Paolo et son escorte ont été assassinés par la main d'un État "dévié". Aujourd'hui malheureusement la criminalité organisée est arrivée au sommet du pouvoir, et c'est pour cela que nous devons lutter. C'est pour cela que notre devoir est, avant toute chose, celui de résister."

Vito Vespucci
aglioecipolla.com

Sources: Antimafia2000, L'Unità, Il Fatto Qutodiano

Ps. Au même moment plusieurs milliers de personnes manifestaient contre la décision du maire (Lega Nord -Ligue du Nord-, parti xénophobe) d'une petite commune proche de Bergamo, après qu'il eut décidé d'ôter une plaque commémorative à Peppino Impastato, victime de la mafia (pour l'intituler à un sacerdote). Quelques heures avant la manifestation, un arbre (olivier) planté en hommage aux victimes de la mafia a également été abattu. Un message a été laissé sur place, en dialecte, disant: "ici je préfère voir grandir un pin".