Dans les petits plats des grands

Publié le jeudi, 18 novembre 2010 à 15h16

BONAPARTE : Un français dans les pâtes de l’Italie

Par Valérie Quezada De Talavera

(Première partie)

On les retient difficilement, elles sont souvent inexactes, heureusement, l’histoire n’est pas uniquement faite de dates et de citations approximatives, mais surtout… d’histoires. napoleon_bonaparte14.jpg

Voici une citation: « Le génie ne se perfectionne pas, mais l’art de bien combiner les choses est perfectionné chaque jour par l’observation et l’expérience » elle est de Bonaparte, et pourrait s’appliquer à la victoire de son chef cuisinier Dunant quand l’inspiration culinaire l’emporte sur le manque de moyens. Une date? facile !: « Le poulet Marengo »… ou souvenir d’un triomphe militaire devenu exploit culinaire.

Du génie à fond les gamelles.

Il est 8 h dans la plaine du Piémont, nous sommes le 14 juin 1800 à 70 k au Nord de Gènes où l’armée Autrichienne forte de 30 000 hommes environ se déploie. En face, les troupes de Napoléon alors seulement 1er consul, avec 28 000 hommes tout engourdis, qui ne se doutent pas qu’une date s’inscrit dans l’histoire militaire et… culinaire.

Les français sont mal engagés, l’attaque matinale n’était pas prévue, la défense se fait précipitamment, jusqu’à la mi-journée où la situation devient délicate : les pertes sont importantes. Affaiblis, le moral au plus bas, les soldats n'ont pas d’autre choix que de croire les mots du consul en personne qui vient leur porter des encouragements et une promesse de renfort. Certes, mais quand ? D’autant qu’il a fait partir un de ses généraux avec 7000 hommes et qu’il le regrette déjà : « Je croyais attaquer l'ennemi, il m'a prévenu. Revenez, au nom de Dieu, si vous le pouvez encore !»
Le contre-ordre rédigé à la hâte arrivera sur les coups de … 22h et il est seulement 14h.



La bataille tourne aigre, les Autrichiens sur le point de conclure donnent des signes ostentatoires de leur victoire. Dans le camp français les plus valeureux désespèrent face à l’évidence, quand, devançant le changement de tactique de Bonaparte, le général Desaix revient avec hommes et généraux bien plus rapidement que prévu. Retournement de situation spectaculaire, alors que tout semblait perdu, la bataille est gagnée! Voilà le Piémont à nouveau déclaré république « Cisalpine », une création de Bonaparte qui réunissait, trois ans plus tôt à sa suite les duchés de Milan, Bologne et Gênes sous annexe française.

La victoire est incroyable, il est grand temps de se réconforter en retrouvant des forces, et quoi de mieux qu’un bon repas ? Bonaparte a le ventre vide depuis la veille.

A la fortune du Pô!!

Hélas son cuisinier Dunant, moins chanceux, est l’oublié des renforts : il a perdu dans l’affolement de cette bataille son garde-manger égaré dans l’urgence de déplacer rapidement les convois qui pourtant, selon l’ordre même du consul, « doivent toujours suivre les troupes en campagne ». On ne sait plus où sont les fourgons de ravitaillements ! Où se fournir ?

Marengo est le hameau le plus proche, on y court, mais arrivé sur place, plus rien ! les environs sont dévastés. Depuis un an Autrichiens, Russes et Français viennent remplir leurs estomacs aux frais de la princesse et au gré des razzia qui approvisionnent les troupes. Dunant arrivé après la bataille est contraint de partir à la chasse aux fonds de tiroirs des maisons abandonnées. Si quelques incertitudes subsisteront toujours sur le maigre contenu de son butin, on peut établir celle-ci comme base: Poulet, sel poivre, farine, œufs, champignons, et même de précieuses écrevisses car le Pô pas loin inonde la plaine de rivières limpides qui traversent le champ de bataille, huile de graines plus certainement que celle d’Olive importée à grand coût de Ligurie, quant aux tomates cela semble bien luxueux mais.... Il rissole le tout, lie avec un roux et du vin blanc.


Gallinacé Impérial


Bonaparte avec son bon et rustique coup de fourchette attaque le plat sans ménagement à l’aide de …ses doigts, c’est ainsi qu’il termine ses repas, le tout, comme à son habitude, liquidé en quelques minutes. Dunant n’en croit pas ses yeux puis ses oreilles: Le grand Bonaparte dit aimer. Beaucoup même ! «Le poulet Marengo » est un succès. De retour dans le confort de sa cuisine Parisienne, le chef perfectionne sa recette, tout heureux d’avoir enfin sous la main le matériel qui permet de réaliser un met digne de l’illustre appétit. Catastrophe ! Bonaparte retourne le plat mécontent en demandant qu’on lui serve la vraie, seule et authentique recette qui devait rester dans l’histoire, ajoutant parait-il « Tu as supprimé les écrevisses, cela me portera malheur, je n’en veux pas ! »

Pas plus bête que superstitieux, le choix de l’emblème ne sera aucunement influencé par la reconnaissance du ventre. A la question « Pourquoi ne pas avoir choisi le coq comme emblème ? » il eut cette réponse: « C’est un oiseau qui chante sur le fumier ! »