Dans les petits plats des grands

Publié le jeudi, 16 septembre 2010 à 18h11

Rossini : mélis-mélos d'Opéras-bouffes ( 1ère partie)

Par Valérie Quezada De Talavera

Rossini Ce que l’amour est au cœur, l’appétit est à l’estomac. L’estomac est le maître de musique qui freine ou éperonne le grand orchestre des passions …Manger et aimer, chanter et digérer sont les 4 actes de l’opéra bouffe qui a pour titre la vie …Celui qui la laisse s’enfuir sans en profiter n’est qu’un fou . Gioacchino Rossini

L’auteur du célèbre Barbier de Séville a passé au moins autant de temps à composer de la musique que des repas et des recettes, tel le fameux Tournedos Rossini , laissant un nom aussi légendaire dans un domaine que dans l’autre. Comment passe t-on avec autant de virtuosité du barbier au cuisinier, du piano forte à celui d’Antonin Carême, légendaire cuisinier devenu un grand ami ? C’est tout le secret de cet homme de l’art.

Gioacchino Rossini naît en 1792, d’une mère cantatrice et d’un père devenu célèbre corniste après avoir été renvoyé de son poste de directeur des abattoirs de Pesaro pour idées républicaines. Avec des parents constamment en tournée, l’enfant séjourne chez un charcutier bolonais qui lui fait donner des leçons de musique ; bien plus tard, il évoquera cet épisode béni devant son biographe, Azevedo, en se plaignant des vicissitudes de la vie publique et en ajoutant qu’il aurait préféré être charcutier, si seulement il avait été mieux orienté ! Mais le gamin doué est pris en charge par des mécènes et fréquente des institutions de qualité. Dès 14 ans, il acquiert une solide formation instrumentale mais aussi vocale.

Truffé d'anecdotes

Les deux fois où j’ai pleuré sont pour le fiasco de la première du Barbier de Séville et pour la perte d’une poularde truffée tombée dans l’eau On comprend ainsi que L’Opéra et la truffe sont l’essence de la vie du maestro. Il est plein d’humour, aussi prolifique en pièces musicales qu’en bons mots, et à 22 ans, il aligne déjà une dizaine d’opera buffa, lorsque L’Italienne à Alger triomphe à Venise. On y conte les mésaventures du Calife ridiculisé par sa prisonnière qui convainc ce dernier d’entrer, pour son plus grand honneur, dans l’ordre des Pappataci - nom qui, littéralement, signifie… Bouffe et tais-toi  ! L’intronisation se fera devant un plat de spaghetti au son du fameux air patriotique Pensa alla patria.

Dans Tancrède, un air magnifique, l’air des riz , doit son nom à une anecdote savoureuse. La créatrice du rôle refusa d'entrée l'air qu'avait concocté le maestro. Contrarié, le compositeur s’attable dans une auberge de Venise, commande un risotto et, en attendant que le plat soit servi, compose la cavatine Di tanti palpiti sur un coin de table. Merveille du génie de Rossini, l'air est terminé au moment où l’on pose le plat à table, d'où son nom d'aria dei risi. Comme il a l’habitude d’écrire au lit, au moment de terminer une partition l’encre vient à manquer, voilà qu’il trempe alors sa plume dans le caramel du dessert pour terminer un délicieux duetto sur partition poisseuse. Certains de ses derniers morceaux, considérés comme les plus créatifs, porteront des titres à la fois humoristiques et culinaires.

Gorgé d’honneurs

Après Londres, Paris. En 1823, Rossini est invité au fastueux banquet des artistes parisiens organisé en son honneur au Veau qui tête. les toasts au champagne célèbre sa notoriété. Un an plus tard, il est engagé par la maison du comte d’Artois -le futur Charles X- avec une rente annuelle et se retrouve à la tête du prestigieux Théâtre des Italiens, consécration d’une carrière qui compte plus d’une trentaine d’opéras dont le Barbier de Séville ! L’année suivante, le couronnement de Charles X à Reims vaut au maestro une commande, précisément nommée Le Voyage à Reims. La pièce met en scène une petite bande de joyeux curistes venus de tous les pays d’Europe qui décident de partir assister aux fêtes du sacre dans la célèbre cathédrale ; mais leur projet échoue, faute de chevaux disponibles, et finalement l’argent du voyage financera un grand banquet ! Avec truculence, Rossini détourne le royale (et ennuyeux) hommage en une farce lyrique et pétillante.

Rossini est à la mode, tout le monde veut à sa table cette personnalité décrite dans la biographie de Stendhal comme énorme et mangeant comme trois ogres . Au cours de ces repas, chacun se régale : l’invité, des mets raffinés qui sont servis en son honneur ; ses hôtes, des vocalises de cet excellent baryton. Les programmations des œuvres de ce Rabelais italien sont suivies avec frénésie par les Dilettanti, nom donné aux passionnés d’art lyrique et proche de dilettare, « se délecter ». Mais son dernier opéra seria, Guillaume Tell, s’avère plutôt indigeste : quatre heures de musique servies par près de quatre-vingt musiciens laissent le public abasourdi à l’écoute de ce nouveau style wagnérien.

Après l’échec, l’ivresse retombe, les temps sont durs et la descente se poursuit par l’abdication de son protecteur, Charles X, suivie par la Révolution de Juillet qui remet en cause les principaux revenus du compositeur. S’ensuit l’épuisement, après cette production intensive, la dépression l’emporte loin de la scène en cette année 1830 où tout bascule.

2ème partie: Rossini "Tournedos" à la musique pour la cuisine