L'Italie dans la presse française

Publié le mardi, 13 avril 2010 à 20h42

La Littérature aux temps du Cavaliere

Par Stefano Palombari

Silvio Berlusconi montre ses musclesDans un article très intéressant de Gilles Heuré, paru il y a quelques jours dans Télérama, des écrivains italiens, plus ou moins connus, tracent un état des lieux de la culture en Italie aujourd'hui. Le constat est forcément accablant. Le contrôle de toute l'information par le « Roi des starlettes du petit écran et de la gaffe » ne peut conduire qu'à une chute de la production culturelle italienne. Rien de plus normal, l'idée même d'apprentissage et de réflexion étant totalement absente des loisirs que l'on propose quotidiennement aux Italiens pour occuper leur temps libre. On ne peut même pas en discerner des traces infinitésimales, homéopathiques, comme pour les fruits à coque, que l'on retrouve toujours dans les ingrédients des aliments qu'on achète au supermarché. Le loisir à la mode de Berlusconi doit forcément être creux.

La culture est tellement dévalorisée qu'elle est devenue un défaut. L'argent, et le pouvoir qu'il détermine (pas uniquement le pouvoir d'achat), est aujourd'hui maître incontesté, mais il est également arbitre. C'est justement uniquement sur ce critère qu'on établie les positions hiérarchiques et les valeurs. Les différents écrivains (Francesco De Filippo, Roberto Ferrucci, Antonio Tabucchi, Valeria Parrella...) interrogés par Gilles Heuré sont bien conscients de tout ceci : Le pays autrefois symbole de la culture et de l'art se métamorphose petit à petit en un désert culturel.

Si la situation générale de la culture italienne est catastrophique, la littérature italienne jouit d'une excellente santé. En France, et dans d'autres pays, on raffole des ouvrages d'auteurs italiens. Depuis l'époque des grands écrivains du XXème siècle (Moravia, Calvino, Malaparte, Buzzati...), jamais autant de livres italiens n'ont été traduits en français. C'est un phénomène typique des pays en crise. La littérature se nourrit des contradictions du présent, ce qu'Ernst Bloch appelait l'« engrais des contradictions ». Le problème est que les publications, même excellentes, n'ont aucun impact sur l'opinion publique. Les auteurs italiens en sont conscients et ils ne se font guère d'illusions sur leur pouvoir de bousculer les esprits.

« Le problème est surtout qu’on publie trop. On ne compte plus, en Italie, les auteurs qui publient plus de livres qu’ils n’en lisent. » dit Marcello Fois à Gilles Heuré. Il est vrai qu'on publie trop de livres. Cependant, ce problème est bien plus général, il est mondial. C'est un autre paradoxe de la société contemporaine. Les lecteurs diminuent et les auteurs augmentent. Désormais pour publier un livre, il n'est plus demandé d'avoir une certaine compétence dans un domaine, et je ne parle pas là de culture ou d'érudition. Tout le monde écrit et publie, même ceux qui n'ont rien à dire. Le creux du loisir télévisé conquiert des nouveaux secteurs, notamment la presse et l'édition.

Le résultat de ce processus sera (en Italie, il l'est déjà) une population divisée en deux, non plus selon les critères purement politiques mais sur la base de la résistance au vide, au « Néant qui avance ». Aux « hypnotisés par la dictature télévisuelle » (De Filippo), s'opposeront les lecteurs de livres et les désobéissants, dans le sens d'Orwell. A propos de ce dernier, le cauchemar de « 1984 » (livre que j'invite à lire et relire sans modération) a commencé avec dix ans de retard.

Il est toujours très intéressant et instructif de lire sur Internet (c'est l'avantage du réseau) les réactions aux articles. Dès qu'on parle de l'Italie de Berlusconi (comme dans l'article de Maggiori dans Libération) les lecteurs font souvent un parallèle avec la situation française. Toute comparaison nécessite forcément une base commune, sinon elle ne serait pas possible. Je crois malheureusement que les lecteurs ne se trompent pas totalement. Les germes de la « berlusconisation » de la société sont présents en France, comme dans d'autres pays. En observer les dérives pourrait permettre peut-être de trouver un vaccin. Sinon au pire, on aura une excellente littérature mondiale. Dommage, il n'y aura peut-être plus de lecteurs.