Interviews

Publié le mercredi, 10 mars 2010 à 18h24

Gianrico Carofiglio

Par Stefano Palombari

Gianrico CarofiglioGianrico Carofiglio est un auteur de polars qui n'a plus besoin d’être présenté. On le connaît aussi comme magistrat (ministère public) engagé dans la lutte contre la Mafia des Pouilles, et comme sénateur du Parti Démocrate (centre-gauche). Nous l'avons rencontré pour discuter avec lui, notamment de son dernier roman Les Raisons du doute, sorti en France le 3 mars dernier.

L'avocat Guido Guerrieri, personnage principal de vos polars, se présente comme étant de gauche. Vous êtes sénateur de la République... Une partie de cette expérience se retrouve certainement dans votre héros.

Ma participation à la politique est bien plus récente que la naissance de ce personnage. J'ai commencé à écrire mon premier roman avec Guerrieri, Testimone inconsapevole (Témoin involontaire) en 2000 et il est paru en 2002. J'ai été élu au sénat en 2008. Ceci étant, il me semble tout à fait naturel que l’on retrouve en lui des éléments communs à son auteur et pas seulement dans le domaine politique. Ses positions politiques ont une importance considérable, dans ce roman en particulier, car il est appelé à défendre un ancien adversaire. Un cogneur fasciste, dont il a été l'une des victimes et qui ne se souvient pas de lui. Ce qui le fait hésiter longtemps avant d'accepter.

Vous faites parte du groupe des magistrats écrivains. Mais parmi eux, vous êtes le seul à vous être présenté aux élections.

Les magistrats qui écrivent ne sont pas si nombreux . Mais ils sont plus visibles que les autres catégories d'écrivains car les juges sont aujourd'hui particulièrement exposés. On dit par exemple qu'il y a trop de magistrats au parlement italien. C'est totalement faux, ils représentent environ 1 % de l’ensemble des parlementaires. Ceci dit, on m'a proposé la candidature. Et j'ai accepté tout d'abord parce que je me reconnaissais dans le point de vue de ceux qui m'ont fait la proposition (le Parti Démocrate). Mais aussi par curiosité et pour me rendre utile. Il faut dire qu'en ce moment historique, la fonction des parlementaires est réduite au minimum.

Tous vos romans se passent à Bari. Quel est le rôle de cette ville dans vos histoires ?

Bari est le décor de mes romans mais pas uniquement. Elle est aussi une métaphore du personnage et de ses états d'âme et se présente comme un protagoniste à part entière puisqu’elle devient souvent une sorte d'interlocuteur silencieux de Guerrieri. Ce n'est pas une construction voulue mais s'il existe un élément de force dans ce contexte, il est certainement dû à ce caractère pluridimensionnel du lieu, qui n'est justement pas qu'un lieu.
Ce n'est pas une particularité de Bari. Tous les lieux peuvent avoir cette fonction. Cela dépend de la façon dont on les regarde et dont on les décrit. J'essaie toujours de trouver un point d'équilibre entre la description réaliste d'un lieu reconnaissable par ceux qui le connaissent et une dimension plus générale qui fait appel à l'imaginaire collectif métropolitain et qui transcende un endroit en particulier. Un lieu qui pourrait être dans n'importe quelle ville avec des problèmes et des caractéristiques similaires.

Est-ce que votre activité de juge vous a été utile pour la conception de certains personnages ?

Pas directement. En revanche il est indéniable que faire un travail comme le mien constitue un avantage considérable pour raconter des histoires. Pas uniquement ce genre d'histoires. Car on a accès à un réservoir illimité d'intrigues, d'événements. Mais je ne les utilise pas ainsi, tout faits, je m'en sers, disons, comme d'un carburant.

L'avocat Guerrieri est une sorte de anti-héros. Dès les premières pages du livre, il montre son côté malchanceux.

C'est peut-être cela qui le rend si populaire. Les lecteurs s'attachent à ce personnage plein de doutes, donc très humain. Mais ces revers ne concernent que sa vie privée car dans son métier il est très performant. C’est indéniablement un avocat à succès. Je voulais justement échapper au cliché de l'avocat sans le sou, qui n'a pas de clients, que tout le monde considère comme fini et qui obtient enfin l'affaire qui le relance. Guerrieri est, dès le début, un avocat brillant et reconnu en tant que tel. Et au fil des différents livres, il est de plus en plus considéré. Il n'a donc aucun rapport conflictuel avec sa profession.
Mais à la réussite sociale fait pendant un personnage qui, dans son for intérieur, est très tourmenté. Notamment à cause d'une vie sentimentale désastreuse. A mon avis c'est justement le contraste entre ces deux dimensions qui fait son succès. Mais en tout cas, ce n'est pas un perdant.