Société

Publié le lundi, 1 mars 2010 à 15h39

Femmes, unissez-vous!

Par Marie Giudicelli

"Streghe"«Nous en avons assez d’entendre dire, à la radio, à la pharmacie, à la télévision: "Et alors? Il y a des choses plus graves" », le tout accompagné d’un sourire hypocrite…Ces jours derniers, nous nous sommes demandées : mais reste-il des italiens qui considèrent que traiter une femme comme une marchandise correspond à un acte insultant ou bien est-ce que désormais tout le monde raisonne ainsi ? C’est pourquoi nous avons décidé de lancer un appel en direction des candidats de gauche : pour gagner notre confiance, pour obtenir nos votes, nous exigeons qu’ils s’engagent. Nous demandons que soit insérée, parmi les premiers points du programme des candidats de gauche, une déclaration simple, claire et forte : je ne considère pas normal que les femmes soient traitées comme objet d’échanges dans les relations personnelles et professionnelles, dans la politique, dans la communication… ».

Ceci correspond aux premières lignes de l’appel lancé il y a quelques jours par un petit groupe de femmes italiennes à l’adresse des candidats de gauche aux prochaines élections régionales des 28 et 29 mars prochains.
Le récent scandale lié à la Protection civile et notamment à son président Guido Bertolaso, a en effet relancé, s’il en était besoin, le sujet tant débattu de la femme traitée comme objet d’échanges. En effet, Bertolaso aurait reçu en guise de pot de vin les faveurs de masseuses employées par un centre de remise en forme, dirigé par un certain Simone Rossetti. Faveurs sexuelles en échange de marchés (relatifs au G8 dont le déroulement devait avoir lieu initialement sur l’île de la Maddalena, ainsi qu’à l’organisation des championnats du monde de natation à Rome)…Rien n’a encore été prouvé, mais si les faits étaient avérés, il ne s’agirait que de l’énième cas où des femmes se voient réduites à de véritables objets de consommation et à leur apparence (pensons à « l’affaire Patrizia D’Adario » et à la fameuse nuit passée avec Berlusconi, à l'initiative de Tarantini et au scandale des « escort») dans l’objectif de satisfaire politiques et puissants hommes d’affaires.

La femme « chosifiée »…certes le thème n’est pas nouveau et ne se réduit pas à l’Italie…Pourtant, on a pu observer ces dernières années une accélération du phénomène. Bien-sûr, on pense immédiatement aux « harems » de Silvio Berlusconi et à la personnalité du président du Conseil peu avare, c’est le moins que l’on puisse dire, en tirades et comportements réducteurs et blessants pour les femmes.
L’Italie « berlusconienne », celle que l’on peut observer à travers les médias, ne met en avant qu’un seul modèle féminin : la femme prête à tout pour satisfaire le genre masculin. Mais où sont passées les femmes « pensantes », les femmes dotées de compétences professionnelles pointues, intelligentes, courageuses ? Cette surrreprésentation d’un unique modèle féminin asservi à l’homme tout puissant, n’est-il pas nuisible pour les nouvelles générations, pour ces jeunes filles qui n’ont parfois grandi qu’avec cette seule référence ? Pourtant, contrairement à ce qu’on lit souvent dans la presse, étrangère notamment, il me semble que le problème ne se limite pas à Berlusconi même si son pouvoir est évidemment fort étendu (on pense bien-sûr, en particulier, à son emprise sur les médias).

En 2008, la journaliste Lilli Grüber (première présentatrice d'un journal télévisé à la télévision italienne) a publié chez Rizzoli un très bel essai sur les femmes et notamment les femmes italiennes, Streghe. La riscossa delle donne d’Italia (Sorcières. La révolte des femmes italiennes). J’ai été particulièrement sensible à la manière dont elle interpelle les femmes auxquelles elle semble dire : « Réveillez-vous, prenez votre destin en mains, vous en avez les capacités, vous êtes fortes, il est temps d’agir ! ». Si un certain nombre de femmes ont choisi de se plier au machisme ambiant, d’autres bien au contraire, sont à des années-lumière du stéréotype de la femme-objet. Malheureusement, et c’est là selon moi que se situe avant tout le problème, elles ne parviennent pas à se faire véritablement entendre, tout simplement parce que on leur en donne bien peu l’occasion. Pourtant, elles ont tellement à dire ! Ce sont généralement des battantes, qui cherchent à tout concilier, travail, couple, enfants…mais on met si peu de moyens à leur disposition…D’un côté, le modèle de la femme qui se plie au bon vouloir des hommes, qui n’existe qu’à travers eux et consent à rester « la subalterne » sans même songer à se révolter ; de l’autre une femme qui cherche à se réaliser autrement qu’à travers le regard masculin…

Je crois qu’il est aussi nécessaire d’aborder le problème du décalage existant entre ces femmes qui travaillent, élèvent leurs enfants et la représentation qu’on fait de la femme dans les médias. Si elle influence très certainement nombre de femmes, selon moi la grande majorité demeure pourtant loin du stéréotype de la « velina » et autre « valletta », de la starlette au corps retouché en vue de satisfaire le regard masculin, de ces visages étranges, parfois quasi monstrueux qui peuplent la télévison italienne (voir à ce propos l’excellent et très éloquent documentaire de la journaliste Lorella Zanardo, Il corpo delle donne (ici, la version sous-titrée en français).
Pourtant, il est indéniable que les femmes, bien que désormais présentes dans les principaux secteurs professionnels, ne réussissent pas, ou si peu, à franchir le fameux « plafond de verre » qui leur permettrait d’avoir accès à des postes à haute responsabilité. En effet, qu’il s’agisse du pourcentage de femmes au parlement italien ou dans les conseils d’administration des grandes entreprises, on est très loin de la moyenne européenne. Et pourquoi le pourcentage de femmes sans emploi est-il l'un des plus élevés d’Europe (environ 46% pour une moyenne européenne de 58%)? Quant aux plus hautes sphères de l’État, elles restent bien évidemment occupées par les hommes…Ne devrait-on pas voir là un lien de cause à effet ?

Les femmes ne croiraient-elles pas suffisamment en elles ? Craindraient-elles de « trébucher » et qu’on ne leur pardonne pas ? « On » ? Les hommes bien-sûr ! Il est légitime de s’interroger, surtout au vu des résultats des différentes enquêtes qui démontrent clairement que les femmes ne sont pas moins compétentes que leurs collègues masculins, bien au contraire. Particulièrement brillantes dans les études, elles ont en moyenne un niveau d’instruction plus élevé que les hommes.
Mais alors, où se situe le problème? Je n’ai pas bien-sûr la prétention de proposer ici une analyse approfondie des faits, je me contenterai donc de lancer une piste de réflexion que je crois essentielle pour aider à mieux saisir la situation .
Il est évident que le fait que les femmes demeurent en retrait par rapport au marché du travail correspond à un lourd handicap : difficile dans ces conditions d'acquérir des postes à responsabilité, de se faire entendre, de s’imposer au sein de la société et ainsi affirmer un modèle féminin différent. Il existe diverses explications à cette situation mais la principale concerne certainement le peu de moyens mis à disposition des femmes afin de leur permettre de concilier travail et maternité. Insuffisant développement du travail à temps partiel, coût trop élevé des crèches dont le nombre reste faible…et de surcroît une maternité vue généralement d’un mauvais œil par les employeurs, ce qui pousse de nombreuses femmes à abandonner leur emploi pour s’occuper de leurs enfants (plus d’un quart des femmes abandonnent leur travail après avoir eu un enfant, selon une enquête de Manageritalia, et toujours selon cette enquête, plus les enfants grandissent, moins il est probable que ces femmes reprennent un travail). Si l’on sait, en outre, qu’à travail égal, le salaire des femmes italiennes est de 26% plus faible que celui de leurs collègues hommes, il est aisé de comprendre pourquoi elles sont si nombreuses à renoncer…


Si les femmes veulent vraiment sortir de ce « bourbier » c’est sur elles et sur elles seules qu’elles doivent compter. Si elles souhaitent véritablement combattre les stéréotypes de la femme prête à être consommée, asservie à l’homme, elles ne doivent surtout pas abdiquer. Où sont passés les acquis du féminisme et des batailles des années 70 en faveur des femmes ? N’assiste-t-on pas à un véritable retour en arrière qui, s’il concerne aussi probablement d’autres pays occidentaux, est particulièrement accusé en Italie ? Je crois que les femmes doivent « oser » davantage, j’ai confiance en leur intelligences et en leurs capacités…Mais tant que l’Italie restera dirigée essentiellement par des hommes, la situation a peu de chances de s’améliorer…c’est bien d’un véritable cercle vicieux qu’il s’agit...