Interviews

Publié le mardi, 11 janvier 2011 à 14h51

Fabio Geda

Par Caroline Verhille

Enaiat

A l'occasion de la sortie de son livre Dans la mer, il y a des crocodiles, nous avons posé quelques questions à son auteur Fabio Geda.

Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Enaiat ? Pourquoi avez-vous eu envie de raconter son histoire? S’est-il tout de suite montré enthousiaste ?

Nous nous sommes connus à l’occasion d’une présentation de mon premier roman. Il était invité pour confronter son histoire vraie, à la mienne, inventée, celle d’un enfant roumain qui voyageait seul en Europe, à la recherche de son grand-père. Quand je l’ai entendu parler, raconter, j’ai tout de suite perçu une grande similitude entre son regard léger, même ironique, sur les drames qui ont jalonné son parcours et ce vers quoi je tendais à travers l’écriture. A ce moment là, le soir même « Dans la mer il y a des crocodiles » était né. Je ne me rappelle pas bien si c’est moi qui lui ai proposé ou l’inverse, cela s’est fait naturellement.

Quel était votre but en écrivant ce livre ?

Mon unique objectif, quand j’écris une histoire, c’est de la raconter, de la diffuser, car je crois sincèrement au pouvoir de la narration. Chaque histoire porte en elle certaines vérités et si les gens le souhaitent, ils peuvent laisser cette vérité entrer dans leur vie. Chaque histoire est un peu comme une paire de lunettes : une fois qu’on les porte, on ne peut plus regarder le monde comme avant. Voilà, j’espère que cette histoire pourra changer le regard de ses lecteurs. Beaucoup de personnes me disent qu’après avoir lu l’histoire d’Enaiat, ils ne regardent plus les migrants de la même façon. C’est exactement le résultat que je souhaitais obtenir.

Comment avez-vous travaillé avec Enaiat?

Il avait l’histoire, j’avais la possibilité de l’écrire. Le partage des tâches était simple. Surtout, Enaiat et moi avons passé énormément de temps à discuter. Je l’ai laissé me raconter tout ce dont il se souvenait, et à mesure qu’il le racontait, je lui posais des questions pour tenter de mieux comprendre et faire émerger de nouveaux détails. Tout ce qui est raconté dans le livre, ce sont ses souvenirs. Je n’ai rien ajouté, aucun fait, aucun événement. Mon rôle a consisté à organiser ses souvenirs, à les mettre en scène. Les dialogues, je les ai évidemment inventés, ainsi que certaines descriptions de lieux. Mais même ces éléments là ont été validés par Enaiat, mot pour mot. Si l’on peut dire que les paroles prononcées par les personnages ne sont pas « vrais », ils sont toutefois totalement « vraisemblables ».

La question du style s’est-elle posée ? Ce regard, tout simplement humain, dénué de rancune, est très beau...

Je m’étais fixé deux règles en ce qui concerne le style. La première était de respecter la voix et le regard d’Enaiat : mettre sur papier l’émotion que je ressentais lorsqu’il s’exprimait oralement. La seconde était en fait une demande directe d’Enaiat : faire en sorte que ce libre puisse aussi être lu dans les écoles, qu’il soit accessible à un public adolescent.

Comment le livre a t-il été accueilli en Italie ?

Très bien ! Ce fut un grand succès public et critique. Je reçois des mails d’adolescents de quatorze ans mais aussi de grand-mères de quatre vingt ans. Nous sommes parvenus à toucher un public extrêmement large et cela me surprend et me réjouit beaucoup.

Que fait Enaiat aujourd’hui? Est-il toujours à Turin ?

Oui, il vit toujours à Turin. Actuellement, il étudie pour devenir plus tard travailleur social. Cette année, il passe le bac et l’an prochain il voudrait s’inscrire à l’université, en droit international. Son plus grand rêve serait de retourner en Afghanistan mais un Afghanistan démocratique et pacifié, où personne ne chercherait à le tuer pour son appartenance à telle ethnie ou parce que sciite et pas sunnite. Malheureusement, si cela doit être possible, c’est dans un futur très très lointain. Il voudrait voir sa mère, mais il ne peut pas aller à sa rencontre car en Italie, il bénéficie du statut de réfugié politique ce qui lui interdit d’obtenir un visa pour se rendre au Pakistan (et encore moins en Afghanistan). Quant à sa mère, elle ne peut pas non plus venir le voir ici car selon la loi, l’unique possibilité serait d’effectuer une demande au nom du regroupement familial mais ce motif ne permettrait pas à son frère et à sa sœur de les rejoindre. Il n’est évidemment pas question pour elle de les abandonner.

Quels sont vos projets?

Je crois que les écrivains sont des radars qui vont et viennent sur les routes du monde, prêts à capter des histoires. Je crois beaucoup au pouvoir de l’écoute. Je continuerai donc à me promener un peu partout, à écouter et à écrire.