Interviews

Publié le samedi, 15 avril 2017 à 21h31

Afterhours - Interview

Par Graziana Lucarelli

AFT_opt.jpg
 

Bonjour Rodrigo, bienvenue à l'Italie à Paris. Depuis 2008 tu es le violon d'Afterhours. Par contre, le groupe existe depuis la moitié des années 80. Comment votre musique a-t-elle évolué pendant toutes ces années et comment décrirais-tu Afterhours d'aujourd'hui ?

Oui, j'ai intégré le groupe en 2008 à une époque (comme d'autres pour Afterhours) de grande évolution. Afterhours est un groupe qui a traversé beaucoup de périodes de changement et s’en est tout le temps nourri en se ressourçant grâce aux changements de membres, de sons, de thèmes. Le groupe a été fondé en 1985, même si la première publication date de 1987. Cette année on fête effectivement nos 30 ans.

Afterhours a vu passer trois décennies de changements culturels, mais aussi sonores, mais ce qui est est resté toujours cohérent c'est une envie d'unicité. Un désir de ne pas se faire influencer, dans la mesure du possible, et de rester « une alternative » (et ne pas « être alternatifs »). Je pense qu'Afterhours a toujours constitué une alternative, pour tous les passionnés de rock, ou tous ceux qui cherchaient en Italie quelques chose dans ce style. Quand Afterhours est né, le rock était presque une chimère en Italie ; il y avaient Litfiba, Diaframma, mais pas grand chose d'autre. Avec le temps, Afterhours est ainsi devenu un point de référence, et nous en sommes très fiers, mais nous avons aussi décidé de ne jamais arrêter le groupe en reproduisant un cliché qui fonctionnait, ou qui avait fonctionné dans le passé, par facilité. Nous sommes des personnes torturées, nous avons toujours essayé de répondre à nos exigences musicales mais aussi de vie, de mettre dans notre musique tout ce que nous vivons.

Dans les 30 dernières années, le paysage musical italien a évolué au même temps que vous. Quels sont les changements que tu peux identifier et quels sont ceux qui vous ont particulièrement marqués ?

Pour ce qui concerne la première des trois décennies vécues par Afterhours, je ne peux pas vraiment me prononcer parce que j'étais trop petit. J'étais un musicien classique qui rêvait de faire de la musique son métier et j'étais un peu loin de tout cela, surtout de la musique alternative et du rock. Déjà à partir de la deuxième décennie, c'est-à-dire à partir de 1995/1996, j'ai été témoin de la scène musicale qui changeait. L'Italie, du point du vue culturel, a tendance à être toujours un peu à la traîne, comme ça arrive à toutes les périphéries du monde. Rarement elle a été moteur culturel au niveau international. Par contre, je pense que ces deux premières décennies ont été caractérisées par une grande vitalité et une envie de se différencier, de faire quelque chose de nouveau par rapport à tout qui s'était déjà vu et entendu. Et ce n'est pas un hasard si de nombreux projets crées à cette époque ont perduré dans le temps, c'est parce qu'ils se sont nourris d'une époque en effervescence et ont su en tirer profit pour créer quelque chose d'inédit.

En revanche, je crois que pendant cette dernière décennie les musiciens se sont plutôt installés dans une zone de confort, ils sont devenus des « musiciens comptables », comme le décrivait une chanson d’Afterhours il y a quelques années, en choisissant les chemins les plus aisés et en reproduisant des modèles préconçus. Je pense que cette dynamique va bientôt s'inverser (il s'agit toujours de cycles, en fin de compte) parce qu'elle n'est pas en train de produire de grosses nouveautés ou de grands centres d’intérêt en Italie. Je crois qu'il y a actuellement beaucoup de talent en Italie, mais mal exploité.

Tout au long de votre carrière, nombreuses ont été les collaborations avec des artistes italiens et étrangers. Y a-t-il quelques artistes français qui vous ont inspirés ou que vous suivez ?

Personnellement, je collabore depuis au moins 4 ans (nous avons fait deux albums ensemble et nous collaborons encore dès que possible) avec un artiste qui s'appelle Piers Faccini. Il est anglo-italien, mais il habite et travaille pour la plupart du temps en France, même s'il tourne beaucoup aux États-Unis et il vient aussi en Italie. C’est un auteur-compositeur-interprète extraordinaire, un très bon musicien et poète aussi. Et il a aussi joué avec nous en 2014 pour le ré-enregistrement de l'album « Hai paura del buio ? ». À cette occasion, on avait demandé à plusieurs artistes italiens et étrangers de chanter les morceaux de cet album et Piers avait fait une très belle version de « Come vorrei ».

Après, les Négresses Vertes ont marqué un tournant du point de vue sonore. Plus récemment, même ça fait quand-même un bon moment, il y a eu Noir Désir et, si on remonte plus dans le temps, Gainsbourg reste une pierre angulaire, un point de référence absolu, soit en termes poétiques, soit musicaux, avec son espèce de funk très contaminé. Je pense aussi à Air, à Daft Punk… et, en tant que violoniste, à Grappelli. Edith Piaf est une autre référence pour moi et cette diversité de styles est essentielle pour enrichir l’âme d'un artiste curieux et se ré-questionner en permanence.

Vos débuts ont été caractérisés par des chansons avec des paroles en anglais. Ce choix me parait assez contre-courant, au moins par rapport à tous les groupes qui démarrent leur carrière en chantant dans leur langue maternelle pour ensuite passer à l'anglais pour faire le grand saut dans le marché international. Pourrais-tu m'expliquer le choix fait à l'époque ? Et penses-tu que vous pourriez refaire de la musique en anglais à l'avenir ?

À l'époque la question se posait autrement. Le grand saut, entre guillemets, se faisait on chantant dans sa propre langue parce qu’il n'y avait pas encore d'ouverture aux artistes italiens qui chantent en anglais. Aujourd'hui il est beaucoup plus accepté, même si, chiffres à la main, il n'y a pas d'artistes italiens chantant en anglais qui aient beaucoup de succès en Italie. Nous sommes un pays dans lequel la langue a toujours été très importante. L'écriture, les mots ont un poids dans le domaine de la pop plus traditionnelle. C'est pour cette raison qu'à ce moment-là il a été décidé de passer à l'italien pour permettre à un public plus large d’accéder aux choses qu'on voulait transmettre. Manuel [Manuel Agnelli, chanteur et fondateur du groupe] a fait un travail très intéressant avec le cut-up, une technique liée à la beat generation et basée sur la dé-composition de la langue. Cela lui a permis de créer une forme d'écriture très originale que dans le temps il a bien évidemment ajustée, modifiée, tout en gardant un style personnel.

La langue italienne est peu propice au rock, elle est plus adaptée aux mélodies amples. Ce n'est pas par hasard si c'est en Italie qu'est né le belcanto, alors que l'anglais aide beaucoup dans le rock. Dans cette optique, Manuel a été un pionnier et a ouvert la route à d'autres artistes qui avaient envie de faire du rock, du punk-rock ou du post-punk en italien, mais qui le pensaient impossible.

L'album « Ballate per piccole iene » est sorti dans une version en anglais pour la maison de disques One Little Indian. Il y a effectivement une partie de notre répertoire en anglais sur laquelle on s'appuie quand on joue en dehors de l’Italie pour permettre au public étranger de s'approcher du point de vue linguistique à ce qu'on propose. Pour ce qui concerne le futur... pour l'instant on n'y a pas pensé, même si à chaque fois qu'on sort un disque on en rediscute parce que nos albums ont des sonorités qui les rend très internationaux et il serait intéressant de voir comment le public pourrait réagir s'il comprenait ce qu'on dit. Cependant, les dernières fois on s'est lancé dans des spectacles complètement en italien, ils ont très bien fonctionné, peut-être parce qu'il y a un grand intérêt pour tout ce qui est lié à la world music.

Dans le temps, vous avez fait de nombreuses tournées à l'étranger. Le 27 avril prochain vous jouerez à la Bellevilloise à Paris. Étant donné que la France n'est pas parmi les pays que vous aillez le plus fréquenté, avez-vous des attentes spécifiques par rapport à ce concert ?

Effectivement nous n'avons pas souvent joué en France, la dernière fois c'était déjà à la Bellevilloise en 2008, si je ne me trompe pas. On en a un très bon souvenir, en sachant qu'un bon 80% des personnes présentes étaient des italiens qui vivaient à Paris ou qui avaient fait la folie de venir à Paris exprès pour le concert, en profitant du fait qu'on jouait dans une salle plus petite, intime, où il y avait un contact plus proche avec le public. Et finalement cela est un peu le fil rouge de cette tournée européenne : nous avons la possibilité de jouer à nouveaux dans des petites salles et de retrouver ainsi l'énergie qui vient du fait de jouer en face de 300/400 personnes, et non pas 2000/3000. Le son, mais aussi la dynamique, sont complètement différents et cela change aussi pour le public.

Or, tout en invitant nos amis italiens à venir en grand nombre, on aime aussi profiter de ces occasions pour rencontrer des étrangers curieux, vivant sur place ou touristes, idéalement accompagnés par des italiens, et espérer les conquérir. Cette possibilité nous fascine à chaque fois qu'on sort d'Italie.

Merci Rodrigo et bon courage !

Merci à vous !