L'Aquila

Publié le vendredi, 11 septembre 2009 à 21h10

Abruzzes: "Aquilani, où sommes-nous?" (Giusi Pitari)

Par Vito Vespucci

aquila_palazzo-del-governo Giusi Pitari est aquilana, professeur de biochimie à l'Université de L'Aquila. Elle vit dans le centre historique du chef-lieu des Abruzzes, dans la ville qui fut ravagée par le tremblement de terre du 6 avril 2009, à 3h32. Elle a récemment écrit le livre « 38 secondi » (38 secondes) où elle a raconté son séisme, son choc du 6 avril 2009. Détail de son combat quotidien, elle avait écrit une lettre à Barack Obama peu avant le G8 en juillet 2009. Ce sommet qui, initialement prévu en Sardaigne, fut organisé sur les ruines des Abruzzes, de L'Aquila, de la petite ville d'Onna... Grand tourisme international: "venez donc voir mes twin towers, etc". Particulièrement choquant fut de constater aussi que le G8 avait eu pour conséquence la fermeture momentanée de l'Université, ce que même le drame du séisme n'avait « réussi » à provoquer. Un bien misérable symbole.

À L'Aquila la vie continue, l'hiver approche. On attend toujours de connaître l'importance du facteur humain dans le drame: appels d'offres infiltrés par la criminalité organisée (N'dranghetta), constructions frauduleuses (épargne sur les matériaux, non-respect des normes sismiques...). Beaucoup d'Aquilani écrivent en ligne (comme les ragazzi de 3e32.com) et décrivent leur enfer quotidien, ce no man's land dans lequel on les a plongés.

Au-delà des vaines polémiques politiques, de la très discutable attitude du gouvernement et de la majeure partie de la classe politique italienne, ayant dit et promis tout ce qui pouvait leur passer par la tête (car nous étions en époque pré-électorale: le séisme a eu lieu 2 mois avant les dernières élections européennes et administratives en Italie), les Aquilani semblent aujourd'hui épuisés, et toujours plus inquiets. 5 mois sous une tente, sans comprendre, sans savoir. Les turpitudes du Cavaliere ont aussi poussé le gouvernement a serrer les boulons, jusqu'à L'Aquila. Y compris l'accès à la presse et à l'information, et ce dans les deux sens. Une multitude de témoignages le démontre. Les journalistes ne peuvent entrer dans les camps sans contrôle (et souvent problèmes), et les Aquilani réfugiés dans les camps se plaignent encore aujourd'hui d'être coupés du monde, de ne rien savoir somme toute de ce qui les attend.

Giusi continue elle aussi son combat. Voici la traduction française d'un article qu'elle a publié le 8 septembre: mais où sont passés les Aquilani?


Cittadini dispersi


5 mois déjà. L'Aquila est déserte.

De jour, des automobiles. De nuit, personne. Sans nous.

Cette rue nouvelle où j'habite change sans cesse. Dans la maison d'en face je vois des gens, puis d'autres, puis encore eux et encore d'autres. je ne comprends pas. Chez moi j'héberge les amis et les amis des amis. Qui que ce soit.

Parfois je pense que nous sommes tant, nous Aquilani. En soirée il est rare que je parcours les rues qui mènent hors de Pettino, que ce soit dans un sens ou dans l'autre.

Partout autour de moi, je ne vois rien ni personne. Il y a peu de lumières, quelques chiens. Des phares au loin.

Où sont les Aquilani? Je ne suis ni là pour récriminer, ni pour manifester, ni par volonté de prendre la situation en otage. je veux seulement savoir où sont les Aquilani. Après avoir effectué ses recensements, la Protection Civile pourrait au moins publier la liste des divers lieux où nous nous trouvons aujourd'hui, de là où nous avons été déplacés pour être pris en charge.

J'ai entendu parler de quelqu'un qui se trouve à la Guardia della Finanza dans une chambre avec moquette, et avec deux chats, qui ne ni peux étendre son linge ni nettoyer la pièce. J'ai entendu parler d'untel qui est à Luco dei Marsi, de ceux qui sont à Roseto et y resteront jusqu'en mai 2010. Un ami est à Ovindoli, il n'a pas accès au réseau internet et bombarde le monde entier de sms. J'ai entendu que Pizzoli est pleine d'Aquilani et que Scoppito en déborde. Qu'on ne trouve pas d'habitations à louer et que quelqu'un demande des loyers exorbitants. On parle de "clandestins": ce sont des gens qui habitent dans des maisons classées (1) "B" et "C", et même "E". Peut-être la peur d'être découverts les poussent à se cacher, car moi je ne les rencontre jamais.

Se rencontrer! Voilà! Mais où?... Nos promenades ont disparu, le centre-ville et le café du coin ont disparu. Et puis j'entends aussi dire qu'il y a des maisons "A" et B" situées dans le centre mais que personne ne peut y avoir accès. Le centre-ville n'est pas une priorité. Mais moi alors, où puis-je rencontrer mes Aquilani?

Une place, une agora pour nous rencontrer. Recommencer se fait aussi comme ça. Piazza del Duomo. Les jeunes s'y rencontrent le jeudi soir pour un apéritif à s'inventer sur place. C'est chouette de les voir ainsi. Ce serait tellement bien si nous faisions tous l'effort de nous rencontrer le samedi soir, comme avant, le long du Corso Vittorio Emanuele, avec une bonne bouteille de vin. Et le dimanche matin encore, avec un bon thermos de café et quelques gâteaux.

L'Aquila se reconstruit aussi comme ça. Où sommes-nous? Faisons-le nous savoir.

Giusi Pitari
''CITTADINI DISPERSI'',
08.09.2009

(1) En bref, les maisons sont « classées » ainsi: A: habitables / B: dommages légers, surtout internes / C: dommages plus importants comme concernant les escaliers, tuyauteries etc / D: Examen de la classification (abcde) en cours / E: maisons sous examens comportant des dommages sur leur structure meme (ex: colonnes portantes) ou qui doivent etre mises aux nouvelles normes anti-sismisques. / F: présence voisine d'une maison dangereuse: quel que soit son état propre, elle est inhabitable.

Traduit de l'italien par Vito Vespucci

Liens:
- meetup.com: Grillini Aquilani
- Giusi Pitari sur Facebook (articles)