Société

Publié le vendredi, 21 mars 2008 à 16h13

Mai 68 et terrorisme

Par Stefano Palombari

autonomi118.jpgIl y a deux jours, au cours d'une émission politique sur une chaîne italienne, un certain Franco Piperno figurait parmi les invités du plateau. Or, ce nom ne dit probablement pas grand-chose aux Français mais pour l'Italie ce fut, à mon avis, un moment important, Franco Piperno étant l'un des chefs historiques de Potere operaio. Il est vrai que la chaîne fait partie d'un Bouquet satellite et que le sujet de l'émission portait sur mai 68, " 68 " tout court en Italie car le mouvement est né avant et s'est terminé après le mois de mai. Mais quand même, ce n'est pas très fréquent de voir un important chef d'un groupe considéré comme « terroriste » (il a été condamné au cours du célèbre " procès 7 avril " (1979)), s'exprimer librement à l'antenne. A sa dissolution beaucoup de membres de Potere operaio ont rejoint les Brigades Rouges. Et de surcroît, Piperno n'est pas un repenti, il n'a jamais publiquement renié ses positions.

Pas anodin d’ailleurs le choix d’inviter un ancien « terroriste » pour parler de la révolte étudiante. En effet, l’une des théories en vogue pour rejeter en bloc l’héritage de cette époque et des valeurs revendiquées portait justement sur le (présumé) lien étroit entre les occupants des facs et les terroristes des quelques années plus tard. On disait que mai 68 avait provoqué, généré le terrorisme. Mais 68 portait en soi déjà les germes de la violence terroriste.

Au cours de l’émission, lorsqu’il a pris la parole Piperno n’a pas fait de mea culpa. Il a justifié le terrorisme au nom de la morale. A ses mots, j’imagine bien le sursaut de pas mal de gens assis devant l’écran. Il a dit « Je crois que les terroristes sont d’excellentes personnes, des personnes qui agissent au nom de la morale. C’est une morale de guerre, il n’y a pas que ma morale ou la vôtre (en s’adressant au journaliste Massimo Fini) . La morale est multiple, il y a des gens qui vont bombarder des villes et on les considère comme des héros et d’autres qui tirent sur une cible précise et on les considère comme des criminels. Et cela seulement parce qu’ils ont été vaincus ».

En réalité, le discours n’est pas très original, car que l’on adopte toujours « la morale » du vainqueur c’est bien connu, et cela a toujours été ainsi. Mais peut-être que ces mots d’un homme âgé mais tenace, aujourd’hui professeur universitaire, peuvent aider à regarder ces années-là avec plus d’objectivité. Car « les années de plomb » restent en Italie encore un sujet tabou notamment, à mon sentiment, à cause de trop nombreuses zones d’ombre.

Quant au rapport cause-effet entre mai 68 et terrorisme, en effet Piperno, comme Curcio et la plupart des membres des Brigades rouges et d’autres groupes terroristes des années 70, a commencé son engagement dans les facs et les manifs. Cependant on pourrait aussi faire référence à d’autres soixante-huitards qui n’ont pas eu la même carrière… par exemple à M. Giuliano Ferrara qui est passé des rues et de l’amour libre en 1968 au gouvernement Berlusconi en 2001, jusqu’à placarder, ces jours-ci, les murs des villes italiennes d’affiches choc contre l’avortement. Et il n’est pas un cas isolé.